Affaire Tariq Ramadan : le spectre de l’extrême-droite (1)

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Alors que le Front national est resté à l’écart de l’affaire Tariq Ramadan, ses idées se sont retrouvées défendues sur le fond par les détracteurs de l’accusé et par les propres soutiens des plaignantes. Deux de ces dernières, Henda Ayari et « Christelle », relayent elles-mêmes un argumentaire similaire à celui de l’extrême-droite dont elles ont côtoyé certains milieux ou en ont fait partie. L’affaire renvoie à un basculement politique perceptible depuis des années, auquel la presse a participé ici en observant une même ligne éditoriale à la fois sélective et orientée.

Depuis le début de l’affaire Tariq Ramadan, en octobre 2017, la majeure partie de la presse a systématiquement refusé de se pencher sur le profil des plaignantes et a longtemps procédé à un traitement médiatique unilatéralement à charge contre l’accusé. Une plus grande prudence semble avoir été observée depuis le mois d’avril, lorsque la ligne des parties civiles a révélé un certain nombre d’incohérences et de contradictions, puis donné lieu à des voltefaces spectaculaires, et que la troisième plainte n’a pas été suivie d’une nouvelle mise en examen.

Pourtant, très majoritairement, la presse a continué d’alimenter les digressions autour de Tariq Ramadan, sur fond d’attaques personnelles ou politiques, sans aucun lien avec l’affaire et sans que l’intéressé, placé en détention provisoire, ne puisse y répondre.

Depuis dix mois, les détracteurs de Tariq Ramadan se sont ainsi vu offrir un large boulevard médiatique pour accabler l’accusé, avec la complaisance, sinon parfois la complicité, de journalistes et de rédactions. L’effet est désastreux, puisque sur la base d’une affaire judiciaire à l’issue très incertaine, on assiste à un procès politique et médiatique qui s’est progressivement décomplexé.

À défaut de crimes de viols qui n’ont toujours pas été démontrés et tardent à l’être, on en vient à présenter des aveux d’adultère comme la preuve de la supercherie d’un intellectuel et de son « double discours », avec cette impression elle aussi désastreuse de vouloir le disqualifier auprès de son auditoire musulman. S’il devait s’agir là du résultat escompté ou même d’un simple lot de consolation, il faudra alors que la presse réponde de sa déontologie et les détracteurs de Tariq Ramadan de la nature de leurs motivations.

Encore faut-il rappeler qu’il s’agit d’une affaire en cours au sujet de laquelle seule la justice a la compétence de se prononcer sur le fond. Si, dans le débat public, l’accusé, présumé innocent, a souvent été préjugé coupable, il n’est pas question ici d’adopter la posture inverse et d’entériner par principe que les plaignantes ont menti au sujet du viol qu’elles affirment avoir subi.

En revanche, il s’agit très clairement d’évoquer les pistes que la presse a systématiquement refusé d’étudier lorsqu’elles se présentaient à elle et d’exposer l’instrumentalisation politique dont l’affaire a fait l’objet, y compris lorsque cela s’est produit de manière indirecte.

La gauche laïciste en première ligne, le Front national en embuscade

Ainsi, la presse aurait du observer dès le début qu’une large partie de l’extrême-droite – le Front national notamment (désormais Rassemblement national) – n’a pas exploité l’affaire et se tient prudemment à distance, et qu’une autre partie – Egalité & Réconciliation ou encore Riposte laïque – est soit concernée par le dossier, soit très active dans la campagne de dénigrement menée contre l’accusé.

Comment, par quelle forme d’aveuglement ou de déni, la presse n’ a-t-elle pas relevé que le Front national restait ainsi en retrait d’une affaire qui constituait pour lui l’opportunité de confondre une figure « islamiste » emblématique de l’UOIF (Union des Organisations Islamiques de France, désormais Les Musulmans de France) décriée depuis tant d’années par le FN et ses alliés identitaires ?

• Le silence éloquent du Front national

Il s’avère que ni le Front national (Marine Le Pen), ni les Identitaires, ni Debout la France (Nicolas Dupont-Aignan), ne se sont prononcés publiquement sur cette affaire ou du moins n’ont jugé utile de s’y attarder. Et pour cause : le Front national est très certainement conscient que deux anciens proches du parti – Alain Soral, qui a été membre du comité central, et probablement Nouari Khiari – retrouvent leur nom cité dans le dossier et que la moindre vague pourrait s’avérer préjudiciable.

Le Front national, de même que Debout la France, savent probablement aussi que la seconde plaignante – « Christelle » – a eu un engagement potentiellement compromettant pour eux ces dernières années, en ayant été candidate sur une liste de Debout la République lors des législatives de 2012 et en ayant participé, avec beaucoup de confusion, au soutien de Marine Le Pen lors des présidentielles de 2017. Ce que la presse a globalement pris soin de ne pas relater, selon des choix éditoriaux bien sélectifs.

Tout cela ne fait pas du Front national l’acteur privilégié d’un éventuel « complot » contre Tariq Ramadan, mais peut-être, de par ses propres sources, un protagoniste conscient que le dossier judiciaire pourrait être vide et qu’il n’y aurait dans cette affaire que des coups à prendre.

C’est probablement aussi la raison pour laquelle le FN laisse les détracteurs les plus en vue de Tariq Ramadan aller seuls au charbon faire le « sale boulot ». Une fois que la gauche laïciste, les néo-conservateurs de droite, les « intellectuels communautaires » (comme les qualifiait Tariq Ramadan en guise de réponse à la même attaque formulée contre lui, ce qui lui valut d’être taxé d’antisémite) ou encore les « néo-réactionnaires » (selon les termes du politologue Daniel Lindenberg), se seront discrédités en se cassant les dents sur ce dossier, alors le FN pourra se présenter comme étranger à toute cette cacophonie et capter l’attention d’une opinion chauffée à blanc.

Plus encore, sur le plan des idées, le FN a déjà gagné, puisque sans même avoir eu à se mêler de l’affaire, ce sont les siennes qui sont défendues à travers le procès politique mené contre l’accusé : islamisation de la société, péril islamiste, ambivalences des communautés musulmanes, violence inhérente à l’islam, etc. C’est là le fruit d’années d’efforts et de patience, que l’effondrement des frontières intellectuelles entre une partie de la gauche et de la droite avec l’extrême-droite a fini par couronner de succès.

• L’extrême-droite : un paramètre encombrant

Un autre rôle éventuel du Front national relèverait à ce jour de la spéculation, et rien, dans les éléments connus jusqu’à présent du dossier, ne permettrait de l’accréditer. L’idée d’un « complot », telle qu’amenée dans un premier temps par des partisans de Tariq Ramadan, relayée ensuite par celles et ceux plus enclins encore au conspiratonnisme, et caricaturée surtout par une large partie de la presse peu soucieuse elle aussi de remettre en cause ses propres certitudes, n’est pas à considérer ici au sens propre.

Ainsi, l’instrumentalisation de l’affaire, son traitement médiatique, certains éléments révélés dans le dossier judiciaire, font apparaître l’ombre et l’opportunisme des adversaires de Tariq Ramadan. Tous ont cherché, dans un passé récent ou lointain, à le faire tomber d’une manière ou d’une autre et ont saisi l’opportunité de l’affaire en cours pour espérer enfin y parvenir – plusieurs d’entre eux se trouvant cités dans le dossier.

Un opportunisme tellement chaotique, des tentatives passées si hasardeuses, qu’il serait bien difficile de savoir qui, parmi les adversaires de Tariq Ramadan, a cherché à manipuler qui, d’autant que la personnalité et les motivations des plaignantes semblent elles-mêmes bien insaisissables.

Certes, tout cela n’enlèvera pas, le cas échéant, l’éventuelle emprise exercée par Tariq Ramadan sur des femmes avec lesquelles il aurait eu des relations adultères, ni même éventuellement les méthodes d’intimidation qu’il aurait employées pour échapper à chaque fois au scandale – dés l’instant où la justice le démontrera.

D’ici là, il faudra bien que la presse relativise aussi ces accusations, dès lors que, par exemple, Mediapart, parmi d’autres, s’est appuyé sur les témoignages émanant de plusieurs des détracteurs de Tariq Ramadan – Caroline Fourest, Ian Hamel ou, de manière plus contestable encore, Lucia Canovi -, tout en écartant par ailleurs les témoignages d’autres de ses rivaux ou adversaires : Alain Soral et Salim Laïbi – eux issus ou proches de l’extrême-droite. Comme si reconnaître le moindre lien avec l’extrême-droite devait compromettre, aux yeux de cette même presse, les espoirs placés dans l’affaire ou bien participer à discréditer la parole des plaignantes sur laquelle tout repose.

« Complot sioniste » vs « complot islamiste »

L’affaire commence le 20 octobre 2017, lorsque Henda Ayari, qui se présente elle-même comme « militante féministe » et « ancienne salafiste », dévoile l’identité de celui qui l’aurait agressée sexuellement, comme elle le relate dans son livre « J’ai choisi d’être libre », et qu’elle désignait alors sous le pseudonyme de « Zoubeyr ».

L’homme qu’elle désigne désormais ouvertement est Tariq Ramadan : elle annonce le jour même le dépôt de sa plainte contre lui. Cette plainte, ainsi que les deux autres qui suivront, vont devenir le front de bataille idéologique entre plusieurs camps intellectuels, révélant les obsessions sionistes des uns et les lubies islamistes des autres, chaque camp étant plus enclin à dénoncer soit l’islamophobie rampante au sein de la société, soit un renouveau antisémite qui émanerait d’une partie seulement de la population.

• Par delà l’obsession sioniste des pro-Ramadan

À l’annonce de la première plainte, la réaction des partisans de Tariq Ramadan ne se fait pas attendre, puisque seulement trois jours après, l’Union française des consommateurs musulmans (UFCM) publie une capture d’écran supposée révéler la collusion d’Henda Ayari avec le média d’extrême-droite Europe-Israël, et par là même l’ombre du « sionisme international » (une publication que Tariq Ramadan partagera brièvement sur sa page Facebook, avant de l’effacer). Henda Ayari serait ainsi supposée aider Europe-Israël en lui reversant 5% de la vente du livre.

L’auteure, l’éditeur Flammarion, ainsi que Europe-Israël démentent ces accusations, le site pro-israélien invoquant un partenariat commercial avec la plateforme Amazon et une commission sur les ventes qu’il générerait lui-même – ce qui, après avoir été démontré, est avéré. Il n’en faut pas moins pour que la presse évoque une « fake news », quitte à la grossir à son tour : Libération affirmant que l’UFCM mentionnait un prélèvement sur les droits d’auteur, tandis que d’autres observateurs qualifiaient la capture d’écran de « faux ».

Si l’erreur d’interprétation de l’UFCM est manifeste, le même constat est à faire du côté de la presse. Ainsi Europe-Israël ne faisait aucune mention sur son site du partenariat avec Amazon et a même supprimé durant plusieurs jours celle fidèlement restituée par la capture d’écran de l’UFCM, qui n’était donc pas un faux : « En achetant le livre de Henda AYARI J’ai Choisi d’Être Libre vous aiderez Europe Israël qui recevra une commission de 5% ».

La polémique suscitée a occulté le fait qu’il s’agissait bien d’une promotion éditoriale, doublée d’une incitation à financer Europe-Israël, que les administrateurs du site n’ont manifestement pas assumée dès lors où ils ont choisi d’en dissimuler la mention. Pourquoi la presse ne l’a-t-elle pas relevé, préférant ici accabler l’UFCM ? Et pourquoi Henda Ayari ne s’est-elle pas émue qu’un site d’extrême-droite, fut-il sioniste ou non, communique ainsi sur son ouvrage ?

Cet incident, anodin de prime abord, a servi de prétexte à la presse pour caricaturer la défense de Tariq Ramadan autour de l’idée d’un « complot sioniste ». Certes, les partisans de l’intellectuel ont eux-mêmes donné le bâton pour se faire battre – certains croyant même littéralement à la thèse avancée -, et le flot d’injures et de menaces, de nature antisémite et misogyne, proférées à l’encontre de la plaignante par des internautes excédés ou des trolls fanatisés, a achevé de dresser un tableau calamiteux.

Pourtant, cela ne doit pas faire oublier que l’expression de la haine, sur internet et les réseaux sociaux, s’est également dirigée contre Tariq Ramadan – et sous une autre forme encore à travers les médias – et que la caricature d’un « complot sioniste » est devenue depuis lors un prétexte commode pour refuser d’entendre les arguments avancés par les partisans de l’accusé.

• La propre obsession islamiste des anti-Ramadan

Au-delà de la caricature, l’idée avancée par l’UFCM comme quoi Henda Ayari serait soutenue par « les milieux sionistes et l’extrême-droite » et serait une « militante anti-islam » est pourtant loin d’être conspirationniste. C’est ce qui a transparu au fil des mois depuis le commencement de l’affaire, à travers son traitement médiatique, son instrumentalisation politique, des éléments issus du dossier judiciaire et les propres choix de communication de la plaignante ou encore ceux de ses soutiens.

Il n’y a d’ailleurs rien de surprenant en cela, puisque les questions d’Israël et de la Palestine, du sionisme et de l’antisionisme, de l’islamophobie et de l’antisémitisme, sont des thèmes que vient cristalliser la personnalité de Tariq Ramadan, de par les propres positionnements de ce dernier et les griefs formulés à son encontre.

Plus encore, ce sont les mêmes thèmes qui, depuis vingt ans, viennent enflammer le débat intellectuel et politique en France, jusque dans les milieux de la presse et le tissu associatif, faisant littéralement exploser les clivages politiques et rapprochant sur le plan des idées une partie de la gauche et de la droite avec l’extrême-droite. Cette dernière n’est d’ailleurs pas épargnée par ces tensions, puisqu’elle voit s’affronter en son sein deux courants : l’un antisioniste et antisémite, l’autre opportunément pro-sioniste et prioritairement islamophobe.

La politisation de l’affaire commence plus certainement avec la première plaignante, Henda Ayari, qui, dès ses premières interventions médiatiques, le 30 octobre 2017, déborde le cadre du crime de viol pour lequel elle a porté plainte et axe sa communication sur un argumentaire qu’elle impute à Tariq Ramadan : « soit vous êtes voilée, soit vous êtes violée ».

L’on s’éloigne subitement des campagnes « Mee Too » et « Balance ton porc » qui l’auraient, selon elle, poussée à porter plainte, et l’on s’éloigne tout aussi subitement de la réserve et de la prudence qu’exigeait une affaire judiciaire aussi exposée sur le plan politique et médiatique.

La presse s’engouffre aussitôt dans la brèche, la référence au voile réveillant fatalement toutes les polémiques liées à l’islam au sujet duquel rien ne sera épargné. Dès le lendemain, c’est Caroline Fourest, détractrice notoire de Tariq Ramadan, qui prend le relai et parcourt en quarante-huit heures les plateaux-télé, avec un impact médiatique démultiplié et le soutien appuyé de la revue Marianne. Elle dénonce la « duplicité » de Tariq Ramadan et « son réseau qui est l’un des plus redoutables dans l’islam politique », ainsi que « son public, antisémite, violent et haineux, [qui] crie au complot » (RTL). Au « complot sioniste » répond désormais le « complot islamiste », sans que l’on sache en définitive lequel a invoqué l’autre.

L’affaire Tariq Ramadan survient en France dans un contexte social d’une très grande tension, qui connait une hausse de l’antisémitisme et de l’islamophobie, une progression des extrémismes religieux et politiques, un repli identitaire et communautaire, la menace terroriste et l’effondrement des clivages politiques.

Un climat de tensions auquel n’est pas étranger le monde médiatique, qui depuis des années s’est lancé dans une surenchère racoleuse autour des thèmes liés à l’islam : de Charlie Hebdo à Valeurs Actuelles, en passant par Marianne et Causeur, Le Point et L’Express, ou encore Le Figaro et sa rubrique Le Figarovox, les journaux télévisés de TF1 et France 2, les chaînes d’information en continu tel BFMTV, ou bien diverses émissions télévisées et radiophoniques.

Bien souvent, les autres médias qui n’ont pas encore cédé aux sirènes se voient taxés « d’islamo-gauchisme », accusés bien curieusement par leurs concurrents d’être « dominants » et d’incarner la « bien-pensance ». La même ligne éditoriale « islamo-maniaque » traverse désormais un large spectre médiatique qui va de la presse de gauche à celle de droite et d’extrême-droite. Il ne fallait donc pas s’attendre à un traitement dépassionné de l’affaire Tariq Ramadan.

La polémique Charlie Hebdo : un tournant décisif

L’affaire Tariq Ramadan prend une nouvelle tournure sur le plan médiatique avec deux numéros consécutifs de Charlie Hebdo, qui met en Une, le 1er novembre 2017, un dessin illustrant l’intellectuel musulman accusé de viol, et, le 8 novembre, un autre mettant en cause Edwy Plenel et Mediapart.

Les tensions suscitées par la polémique marquent un tournant médiatique décisif. Charlie Hebdo, qui a connu l’incendie de ses locaux en 2005 et surtout l’attentat meurtrier de 2015, est dans le même temps régulièrement accusé par ses contradicteurs d’observer une ligne éditoriale islamophobe. Cette nouvelle séquence apparaît dès lors comme le paroxysme des contentieux qui déchirent depuis plus de quinze ans l’ensemble de la presse française sur les questions de l’islam, de la laïcité ou encore de l’identité nationale.

Il en ressortira qu’au lendemain de cette crise, la majeure partie de cette même presse se positionnera sur l’affaire Tariq Ramadan comme un seul homme. Avec une absence criante de pluralisme et un parti pris manifeste qui en disent long sur l’état de la presse et son basculement progressif.

• La Une consacrée à Tariq Ramadan

La première Une de Charlie Hebdo relative à l’affaire Tariq Ramadan, parue le 1er novembre, met en scène l’accusé comme « sixième pilier de l’islam » symbolisé par son pénis en érection. La rédaction de l’hebdomadaire affirme avoir aussitôt reçu des menaces de mort ; des messages postés sur les réseaux sociaux relevant de l’apologie du terrorisme ont pu être constatés.

Si ces menaces sont unanimement condamnées, la polémique perdure sur l’interprétation d’un dessin une nouvelle fois jugé équivoque. Cette Une suscite l’exaspération de musulmans qui s’estiment de nouveau stigmatisés et identifiés à un évènement polémique, dans un contexte social qui leur est déjà hostile, et provoque de manière assez prévisible la colère des partisans de Tariq Ramadan.

De manière tout aussi prévisible, ces derniers se voient uniformément désignés derrière les mêmes menaces qui avaient précédemment ciblé la première plaignante Henda Ayari. Pourtant, aucun journaliste ne relève que la simple référence au concept d’un violeur et à son pénis comme « sixième pilier de l’islam » a pu à elle seule provoquer la furie islamiste, et que le rapport établi avec Tariq Ramadan est celui que s’efforcent d’imposer ses détracteurs depuis de nombreuses années.

Ce qui ressort ici est qu’il semble attendu que les partisans de Tariq Ramadan doivent supporter pour leur part toutes les outrances, sans que leurs réactions, lorsqu’elles ne relèvent ni de l’injure, ni de la menace, ne puissent être entendues. Et ce, alors même que des appels à la « lapidation » et au meurtre proférés sur les réseaux à l’encontre de l’accusé, ainsi que des injures racistes et islamophobes, n’ont ni été relevés par la presse, ni suscité la même indignation.

À aucun instant, ce trolling, ayant pu émaner aussi bien de l’extrême-droite que de tout le spectre des anti-Ramadan, n’a donc été reproché – à tort ou ou raison – aux détracteurs de ce dernier ou aux propres partisans des plaignantes. La presse a également tout juste rapporté, sans s’y attarder, l’appel au calme exprimé par Tariq Ramadan face à l’ensemble des dérives constatées depuis le début de l’affaire :

« A vous,

Comme vous le savez, mes avocats m’ont demandé de garder le silence et de ne m’exprimer que dans le cadre de la procédure juridique, très loin de la temporalité et des excès médiatiques.

Je tenais néanmoins à dire ici que je déplore le climat délétère actuel où les propos de haine le disputent aux incitations à la violence. De tous les bords, de façon anonyme ou pas, on lit des commentaires excessifs, racistes, antisémites, islamophobes, irrespectueux à l’endroit des femmes, etc. Depuis plus de 30 ans, j’appelle à la mesure, à l’écoute, au dialogue respectueux et à l’intelligence ouverte et critique. Ce sont ces qualités dont nous avons tous besoin aujourd’hui. Personne, jamais, ne gagnera en propageant l’insulte et la haine. Quant à moi, je reste serein et je fais confiance à la justice. Il faut être patient, et déterminé, toujours. Il faut, en toutes circonstances, demeurer sage et digne.
Merci, et que la Paix vous accompagne. »

Tariq Ramadan – Facebook (11/11/18)

• Charlie Hebdo vs Mediapart

Dès le numéro suivant, une nouvelle Une de Charlie Hebdo met cette fois-ci en cause Edwy Plenel et Mediapart, lesquels, selon l’hebdomadaire satirique, auraient su, auraient refusé d’entendre et de voir et se seraient tus (selon la parabole des « trois singes ») au sujet des viols qui impliqueraient Tariq Ramadan. Une accusation grave que Charlie Hebdo s’avère incapable de démontrer et que le directeur de Mediapart réfute, parlant de calomnie.

Par médias interposés, le ton monte entre les protagonistes et une citation tronquée d’Edwy Plenel impute à ce dernier d’avoir dit que Charlie Hebdo aurait « déclaré la guerre aux musulmans ». Surenchérissant dans la polémique, le directeur de Charlie Hebdo l’accuse alors de « condamner à mort une deuxième fois » sa rédaction, et Manuel Valls, connu pour sa proximité avec l’hebdomadaire et l’ensemble du courant laïciste, ainsi que pour ses propres propos polémiques au sujet de l’islam, se lance à son tour dans la surenchère à l’encontre d’Edwy Plenel.

Ce dernier, selon l’ancien Premier ministre interrogé sur BFMTV-RMC, se serait adonné à la même « sémantique utilisée par les islamistes, utilisée par la propagande de Daech », aurait fait preuve de « complaisance » et de « complicité intellectuelle » à l’égard du terrorisme, et compterait parmi des « gens dangereux » qu’il conviendrait de « faire rendre gorge », « d’écarter du débat public » et de « faire perdre » dans le cadre d’une « guerre, une guerre d’idées, une bataille d’idées ». L’on comprend mieux alors la citation originale d’Edwy Plenel et tout ce qui s’en suivra.

« La ‘Une’ de Charlie Hebdo fait partie d’une campagne plus générale que l’actuelle direction de Charlie Hebdo épouse. Monsieur Valls et d’autres, parmi lesquels ceux qui suivent Monsieur Valls, une gauche égarée, une gauche qui ne sait plus où elle est, alliée à une droite voire une extrême droite identitaire, trouve n’importe quel prétexte, n’importe quelle calomnie pour en revenir à leur obsession : la guerre aux musulmans, la diabolisation de tout ce qui concerne l’islam et les musulmans. »

Edwy Plenel – Europe 1 (08/11/17)

La référence à une « guerre » – reprise sans complexe à son compte par Manuel Valls – a été l’opportunité pour les contradicteurs d’Edwy Plenel de discréditer sa pensée sur le fond. Au-delà de cet excès lexical fautif, le directeur de Mediapart n’a pourtant fait que décrire un glissement politique tangible, au point d’avoir viscéralement déplu à ceux que ce constat dérangeait. Ce qui est reproché à Edwy Plenel, c’est finalement de n’avoir pas « épousé » la « campagne générale » qu’il dénonçait, et de n’avoir pas non plus participé à discréditer Tariq Ramadan sur le plan intellectuel, au point là aussi de s’attirer les foudres de leurs détracteurs communs.

Aux « croisades » dénoncées par Mediapart va succéder quelque chose comme une chasse aux sorcières au sein de la classe médiatique, libérant une parole dénonciatrice aspirant pour ainsi dire à une séance d’auto-critique de la part d’Edwy Plenel. Au-delà, ce sont également d’autres intellectuels qui sont visés (dont Edgar Morin et Pascal Boniface), des journalistes et des rédactions de presse, des politiques, des militants associatifs, notamment les mouvements antiracistes et féministes.

En s’en prenant à Edwy Plenel, les protagonistes de la polémique frappent fort et marquent les esprits. Ils obtiennent gain de cause : Mediapart « rend gorge » et rentre dans les rangs desquels plus aucune tête ne dépassera dans le traitement médiatique de l’affaire Tariq Ramadan. De ce point de vue, deux autres journaux souvent qualifiés « d’islamo-gauchistes », Le Monde et Libération, feront preuve d’un zèle tout à fait remarquable.

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