Affaire Tariq Ramadan : le spectre de l’extrême-droite (2)

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Caroline Fourest, contrechamp sur la « gauche laïque »

Ironie de l’histoire, la seule journaliste qui clame haut et fort depuis le début de l’affaire avoir été au courant des viols qu’aurait commis Tariq Ramadan est Caroline Fourest (éditorialiste à Marianne et ancienne chroniqueuse à Charlie Hebdo). Elle-même, dans la foulée de Charlie Hebdo, accuse Edwy Plenel d’avoir su et de n’avoir rien dit et a fait exactement ce qu’elle lui reprochait : n’avoir rien dit alors qu’elle savait.

Probablement d’ailleurs n’a-t-elle pas enquêté sérieusement, ni sur la véracité des viols qui lui avaient été rapportés, ni sur le profil et les motivations des femmes qui l’avaient approchée. Pour se justifier, elle affirme que ces dernières (dont la seconde plaignante dans l’affaire, « Christelle ») lui auraient demandé de ne rien publier par crainte des représailles, ce que de toutes façons Caroline Fourest n’envisageait pas de faire tant qu’elles ne porteraient pas plainte.

Pour autant, ne rien publier exclut-il d’enquêter (et non de prendre parti ou de s’impliquer personnellement dans le dossier, faut-il préciser) ? Surtout au regard de la gravité des faits que l’agresseur supposé était susceptible de renouveler ? Ce qui, d’après la chronologie des faits rapportés, est exactement ce qui se serait produit.

À la décharge partielle de Caroline Fourest, des éléments issus du dossier judiciaire et restitués par Le Muslim Post et Le Point pourraient laisser penser qu’elle aurait pu avoir été piégée. Dans un échange Skype avec une seconde femme elle aussi entrée en contact avec Caroline Fourest, « Christelle » écrit à son interlocutrice que la journaliste « fai[sait] partie de son plan » ; les deux femmes se sont concertées avant de la contacter séparément, ne faisant pas mention qu’elles se connaissaient. D’autres révélations viendront toutefois apporter de nouvelles interrogations sur l’attitude alors de Caroline Fourest.

Les exemples qui suivent s’écartent de l’affaire au sens strict afin de considérer des dynamiques que Caroline Fourest a impulsées ou accompagnées et dont elle a pu se désolidariser. Ils montrent notamment des étapes qui ont marqué le basculement du débat à gauche vers un centre de gravité redéfini à chaque fois par l’extrême-droite.

• De Charlie Hebdo à Marianne

Caroline Fourest se fait connaître en publiant en 2004 « Frère Tariq », un livre à charge contre Tariq Ramadan. Elle avait précédemment rejoint la rédaction de Charlie Hebdo au lendemain des attentats du 11-Septembre. C’est elle, ainsi que sa compagne Fiammetta Venner, que d’anciens collaborateurs de Charlie Hebdo (Olivier Cyran, Philippe Corcuff, Mona Chollet) estiment responsables de l’inflexion de la ligne éditoriale du journal sous la direction de Philippe Val, lui-même investi par l’obsession de l’islam et par une certaine conception du conflit israélo-palestinien.

C’est également aux côtés de Philippe Val que les deux chroniqueuses quitteront la rédaction de Charlie Hebdo, après y avoir imprégné une vision islamo-centrée du monde en guise d’héritage. Comme le rapporte Mediapart, une inflexion similaire se confirmera plus tard au sein de la rédaction de Marianne, avec l’arrivée en 2016 de Caroline Fourest et d’autres plumes « laïques », après une laborieuse reprise en main de la revue par d’anciens cadres du Figaro Magazine aux connexions douteuses avec le Grèce et le Club de l’Horloge. Le grand écart entre la gauche laïciste et une certaine proximité avec l’extrême-droite semble cependant ne pas avoir été si grand du point de vue éditorial, malgré les fortes tensions qui ont traversé la rédaction.

• Islamophobie vs antisémitisme

Caroline Fourest compte parmi ces personnalités qui s’appliquent à revisiter le concept d’islamophobie, soit pour le détourner de son sens, soit pour nier ou relativiser la réalité qu’il décrit. Elle affirme cependant lutter contre le racisme anti-musulman, préférant le qualifier de « musulmanphobie » plutôt que d’islamophobie – ce terme étant destiné selon elle à l’usage des islamistes à des fins politiques.

Une telle lecture révisionniste et exclusive appliquée au concept d’antisémitisme serait pourtant perçue à juste titre comme antisémitisme. Dans une interview accordée au Muslim Post, en avril 2016, elle se montre plus mesurée, admettant que le terme d’antisémitisme peut lui aussi être instrumentalisé, concédant également qu’en France « le principal danger n’est pas l’islamisme mais le Front national » ou encore qu’il n’y aurait « pas de désaccord » sur le fond avec l’Observatoire de la laïcité pourtant décrié par son propre camp.

Ce discours adressé à un lectorat musulman contraste avec la virulence de la plupart de ses interventions médiatiques, où elle martèle son argumentaire sur l’islamophobie sans la même circonspection, focalise l’attention sur le péril islamiste et l’antisémitisme aussitôt liés, et ne retient pas ses coups à l’endroit de l’Observatoire de la laïcité ; les questions du racisme anti-musulman et du Front national étant reléguées au second plan. Il pourrait ainsi être adressé à Caroline Fourest les mêmes reproches qu’elle adresse elle-même à Tariq Ramadan : un « double discours » adapté selon les auditoires et par là-même une certaine forme de duplicité.

• Le précédent de Riposte laïque

Les ambiguïtés de Caroline Fourest ont notamment pu conduire par le passé à des situations assez paradoxales. Ainsi, Pierre Cassen, avec qui elle venait de signer une tribune dans Libération un an plus tôt, crée en 2007 Riposte laïque afin de réunir les déçus d’un combat laïque jugé trop timoré. Cette scission au sein du camp laïciste, d’abord très brièvement amicale, dégénère en un divorce brutal : Caroline Fourest reproche à ses anciens partenaires leur racisme rampant, tandis que ces derniers l’accusent des mêmes griefs réservés jusqu’alors aux « islamo-gauchistes ».

Plusieurs collaborateurs de la revue Prochoix (Jeanne Bourdillon, Anne Zelensky, Pascal Hilout), dirigée par Caroline Fourest et Fiammetta Venner, rejoignent alors la fronde « ultralaïque ». Riposte laïque et son corollaire Résistance républicaine s’illustrent très rapidement par des positions ouvertement islamophobes, à la fois compulsives et virulentes.

De provocations racistes en invectives xénophobes, ils en viennent à promouvoir l’extrême-droite et à s’associer avec elle, au point désormais de lui être identifiés. Riposte laïque est précisément le point d’effondrement et de collusion entre la gauche laïciste et l’extrême-droite. Sur la base de ce constat, il est assez remarquable que Henda Ayari, la première plaignante dans l’affaire Tariq Ramadan, ait accepté d’accorder une interview à ce site controversé, en mai dernier.

• Du Printemps républicain à Toujours Charli

Les situations paradoxales auxquelles se retrouve confrontée Caroline Fourest se poursuivent en 2016, avec la création du Printemps républicain (Libération a rapporté son lancement avec un regard critique). Ce collectif, qui réunit nombre de ses collaborateurs et compagnons de route, est notamment parrainé par la revue Marianne, officiellement ancrée à gauche et pour laquelle Caroline Fourest est devenue éditorialiste, et la revue Causeur, marquée très à droite.

Si le manifeste de lancement est irréprochable, les désillusions s’enchaînent, et, rattrapés par leur obsession islamiste, les militants sont accusés de « chasser en meute » sur les réseaux sociaux – comme ils le reprochent eux-mêmes aux partisans de Tariq Ramadan – et de suivre des « croisades similaires à celles de la droite identitaire », ainsi le rapporte l’AFP.

Si Caroline Fourest soutient le Printemps républicain face aux critiques dont il fait l’objet, elle ne s’était pas associée au manifeste, se déclarant alors « pour un compromis laïque bien plus modéré que le radicalisme de certains membres du Printemps républicain (sur les questions des accompagnements scolaires par exemple) ». On n’est pas loin des « accommodements raisonnables » reprochés à l’Observatoire de la laïcité, qui semblent pardonnés ici à celle qui fait figure de référence intellectuelle auprès d’une frange laïque jugée « radicale ». Caroline Fourest interviendra notamment lors de l’événement « Toujours Charlie » co-organisé par le Printemps républicain, en janvier 2018. Un événement commémoratif que ses contradicteurs qualifieront de « tentative de récupération » et dont la presse (Libération, 20 Minutes) relèvera parmi ses thèmes récurrents : la laïcité, le communautarisme musulman, l’islamisme, l’islamophobie, l’islamo-gauchisme, etc.

Selon Caroline Fourest, il existe donc des « laïcs radicaux » (au Printemps républicain) comme il existe des « ultralaïques » (à Riposte laïque), alors qu’elle réfute ces mêmes griefs lorsqu’ils lui sont adressés. Le discours du Printemps républicain, comme celui de Toujours Charlie, est pourtant devenu quasiment comparable à celui des débuts de Riposte laïque : s’opposer à l’islamisation de la société au nom de la laïcité – dérive que la journaliste avait précisément dénoncée à l’époque.

On pourrait également forcer le parallèle avec l’argumentaire, tout au moins de façade, avancé lors des Assises contre l’islamisation de l’Europe organisées conjointement en 2010 par Riposte laïque et le Bloc identitaire, lequel Bloc identitaire – groupe d’extrême-droite issu de la dissolution d’Unité Radicale suite à l’attentat manqué contre Jacques Chirac en 2002 – avait fait un remarquable effort d’adaptation pour la circonstance. Une initiative que Caroline Fourest avait là encore dénoncée à juste titre.

Pourtant, on ne peut que constater à travers ces initiatives répétées les lourdes tendances qui progressent depuis ces dix dernières dans le débat public, tendances auxquelles Caroline Fourest n’est pas étrangère, même s’il lui arrive de les déplorer et s’avère manifestement incapable de les maîtriser. Se pose pourtant la question de sa propre responsabilité dans ce processus, lorsque se dessinent les contours d’une rivalité entre l’extrême-droite et la gauche laïciste qui se disputent la légitimité à parler de l’islam et de l’islamisme.

• Manifeste contre le nouvel antisémitisme

L’errance de plusieurs protagonistes du Printemps républicain et de Toujours Charlie, tous par ailleurs détracteurs de Tariq Ramadan aux côtés de Caroline Fourest, se prolonge avec le Manifeste contre le nouvel antisémitisme, paru dans Le Parisien. Cette initiative, lancée par Philippe Val en avril 2018 et accompagnant la sortie d’un ouvrage collectif intitulé « Le nouvel antisémitisme en France », développe l’idée d’un « antisémitisme musulman » qui représenterait « la plus grande menace qui pèse (…) sur le monde de paix et de liberté » en ce XXIe siècle. Face à cette menace d’une « épuration ethnique à bas bruit », la responsabilité d’un « islam de France », dont le sursaut serait attendu sans quoi « la France ne [serait] plus la France », est aussitôt désignée.

La polémique suscitée par ce manifeste a été largement commentée dans la presse (Slate, L’Express) et a bien évidemment fait réagir les représentants musulmans qui se voyaient pris à partie (France Info, Le Monde). Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême-droite, décèle à travers l’ouvrage collectif une approche conspirationniste autour de l’idée d’une omerta médiatique et institutionnelle qui porterait sur l’antisémitisme en France, lequel serait devenu aujourd’hui d’extrême-gauche et arabo-musulman.

L’ouvrage se réfère notamment à Marine Le Pen comme ayant été la seule candidate lors des dernières présidentielles à avoir dénoncé cette situation et persiste dans la négation de l’islamophobie comme racisme anti-musulman. Fait assez remarquable, les réseaux sociaux nous apprennent que la plaignante Henda Ayari aurait souhaité être signataire du manifeste, ce que prend soin de saluer ostensiblement Gilles-William Goldnadel sur Twitter.

Ces différents exemples, où les protagonistes ont par ailleurs le même avis tranché sur Tariq Ramadan et ont été amenés pour certains à s’exprimer publiquement sur l’affaire, témoignent du glissement progressif du débat public vers thèmes avancés de longue date par l’extrême-droite. Au point que le Front national n’a pas eu besoin de se positionner sur l’affaire en cours, son argumentaire ayant été relayé sur le fond sans avoir eu à intervenir. Au point également que la presse a renoncé à s’interroger sur un rôle éventuel de l’extrême-droite pour ne pas avoir à remettre en cause l’angle général qui n’avait initialement pas intégré ce postulat.

« Christelle » et ses rapports avec l’extrême-droite

Durant les cinq premiers mois de l’affaire Tariq Ramadan, aucune information n’a filtré au sujet des plaignantes, rien au-delà des présentations officielles qui ont été autorisées par ces dernières. La mise en examen de l’accusé, puis son placement en détention provisoire, le 2 février, semble avoir mis suffisamment en confiance la seconde plaignante, connue sous le pseudonyme de « Christelle », pour en dire davantage à son sujet au magazine Vanity Fair, lequel apporte également des éléments complémentaires concernant la première plaignante Henda Ayari.

Le mois suivant, la troisième plaignante, présentée sous le pseudonyme de « Marie », voit son anonymat desservi par des indiscrétions trop précises de la presse, permettant alors de l’identifier et de recouper son passé judiciaire avec des archives de la Voix du Nord. Au mois d’avril, le Muslim Post et Le Point révèlent de nouveaux éléments concernant « Christelle », tandis que l’avocat de la défense, constatant le déséquilibre médiatique au détriment de son client, fait d’autres révélations au sujet des trois plaignantes.

Enfin, au mois de juin, un témoignage versé au dossier judiciaire a été en partie restitué publiquement par son auteur concernant Henda Ayari. Au vu de tous ces éléments connus permettant de mieux cerner le profil des trois plaignantes, seules les deux premières – Henda Ayari et « Christelle » – démontrent des liens directs ou indirects avec l’extrême-droite.

• Vanity Fair, la « Dissidence » et les révélations inachevées

En publiant un témoignage exclusif de « Christelle » en février dernier, Vanity Fair semble convaincu de délivrer des éléments à charge contre l’accusé, notamment s’agissant d’une proximité supposée avec Alain Soral, figure de l’extrême-droite conspirationniste et antisémite. Les éléments délivrés n’apprennent pourtant rien de plus que les rumeurs déjà connues, lesquelles étaient déjà infirmées par les faits et se voient caricaturées par les excès contenus dans le témoignage de « Christelle ».

Bien que Tariq Ramadan et Alain Soral se soient effectivement croisés au congrès de l’UOIF au Bourget, en avril 2009, Tariq Ramadan s’en est expliqué et a surtout décliné les mains tendues par Alain Soral par médias interposés, refusant tout lien avec l’extrême-droite et toute instrumentalisation de l’antisionisme. Après de multiples provocations à l’endroit de l’intellectuel musulman, le verdict d’Alain Soral est sans appel, Tariq Ramadan se voyant qualifié « d’agent déclaré du grand capital mondialiste », comme le rapporte Vanity Fair dans des termes similaires.

S’agissant des propos de « Christelle » suggérant une complicité sinon une connivence entre les deux hommes (ce que la journaliste décrit comme des « amitiés conspirationnistes »), Alain Soral, s’extirpant de sa vantardise coutumière, a fait savoir par l’intermédiaire de son avocat qu’il n’avait rencontré Tariq Ramadan qu’à deux reprises. Salim Laïbi (autre Dissident mentionné dans l’article) et lui-même confirment cependant avoir bien été en contact avec les deux plaignantes Henda Ayari et « Christelle », comme le rapporte Vanity Fair.

Pourtant, la vraie révélation délivrée indirectement par Vanity Fair est que « Christelle » a elle-même approché Alain Soral et les cercles soraliens de la Dissidence, lorsque cela était inconcevable du point de vue de Tariq Ramadan. Encore faut-il préciser qui sont ces protagonistes issus de la complosphère d’extrême-droite.

• Alain Soral et Salim Laïbi

Au moment où « Christelle » prend contact avec Alain Soral, à l’automne 2009, celui-ci vient de quitter le Front national six mois plus tôt pour se présenter aux élections européennes sur une liste concurrente. Son engagement au Front national dure quatre ans, il est introduit par Farim Smahi auprès de Jean-Marie Le Pen, après avoir réussi à approcher Marine Le Pen et Bruno Gollnish. Intégrant le parti en 2005, il rejoint son comité central en 2007. Cette même année, avec deux anciens membres du GUD et le soutien de Jean-Marie Le Pen, il crée Egalité & Réconciliation : cette succursale soralienne est conçue pour séduire et siphonner l’électorat de gauche et l’électorat musulman en faveur du FN.

La ligne antisioniste d’Alain Soral peinant à l’emporter au sein du parti et se voyant lui-même déclassé sur les listes frontistes aux européennes, il quitte le FN, rejoint la liste du Parti antisionniste menée par Dieudonné et réorganise drastiquement Egalité & Réconciliation autour de sa propre personnalité. Il s’agit là de la description de celui dont Tariq Ramadan a refusé la main tendue, mais que « Christelle » a choisi délibérément d’approcher. La fibre conspirationniste n’est pas forcément là où Vanity Fair pensait la déceler.

Salim Laïbi, quant à lui, est celui qui a été dépositaire de la parole des deux plaignantes « Christelle » et Henda Ayari et d’autres « victimes » supposées de Tariq Ramadan, il est un détracteur acharné de ce dernier, auquel il a consacré plus de 70 articles sur son blog depuis le début de l’affaire, et a fait partie des cercles soraliens jusqu’à une rupture radicale avec Alain Soral en 2015. Fidèle à l’image qu’il se donne de « Libre Penseur », il est quelqu’un d’indépendant et d’incontrôlable, capable de partir en guerre contre tout le monde : Tariq Ramadan, Caroline Fourest, Alain Soral, Dieudonné, etc – à l’exception de Lucia Canovi avec laquelle les liens sont restés intacts.

Evoluant au sein de la sphère conspirationniste pro-iranienne, ses alliances plus ou moins durables l’ont conduit à fréquenter plusieurs figures d’extrême-droite : Alain Soral donc, mais aussi Vincent Reynouard (négationniste, rédacteur à la revue Rivarol), Thomas Werlet (militant nationaliste, fondateur de la Droite socialiste et président du Parti Solidaire Français, tenté autrefois par un rapprochement avec l’Œuvre française) et Paul-Éric Blanrue (ancien militant royaliste et du Front national, négationniste proche de Robert Faurisson).

Dans le cadre de l’affaire Tariq Ramadan, « Christelle » semble être restée en bons termes avec Salim Laïbi, dont elle a partagé une dizaine d’articles ou vidéos sur sa page Facebook « Je suis Christelle », également reproduits sur le blog éponyme et sur le site dédié à l’affaire : Les Plaignantes. Salim Laïbi a par ailleurs promu la cagnotte en ligne de « Christelle » (présentée comme la « cagnotte officielle des victimes de Tariq Ramadan ») au détriment de celle de Henda Ayari et a considéré récemment que cette dernière était « la marionnette de Caroline Fourest ».

Pour paraphraser la journaliste de Vanity Fair, « dans ce fourre-tout idéologique, les ego l’emportent sur les alliances, les rapprochements finissent en insultes, les amis d’un jour deviennent des ennemis acharnés et c’est dur à suivre ». Ce « va-et-vient irrationnel des amitiés conspirationnistes qui se font et se défont » concerne cependant moins Tariq Ramadan que ses détracteurs : Alain Soral et Salim Laïbi évidemment, mais aussi, comme nous le verrons, les plaignantes « Christelle » et Henda Ayari elles-mêmes, ainsi que Caroline Fourest dans son rapport avec ces deux dernières.

• Le Muslim Post : Debout la République et Les Femmes avec Marine

Aux révélations faites indirectement par Vanity Fair succèdent celles du Muslim Post et du Point au mois d’avril. Dans un article intitulé « Qui est réellement Christelle ? », publié le 11 avril, le Muslim Post dévoile partiellement l’identité de « Christelle » (Paule-Emma A.) et consacre un premier paragraphe à son parcours politique. Celle-ci s’est notamment présentée aux législatives de 2012 sur une liste de Debout la République.

Une recherche sur internet et des archives de presse permettent de recouper l’information : Paule-Emma Aline (ou Paule Aline) était ainsi candidate dans une circonscription de l’Hérault, comme le relate le site Herault Tribune. Si la classification du parti de Nicolas Dupont-Aignan à l’extrême-droite a longtemps fait l’objet de discussions, son alliance avec le Front national au second tour des dernières présidentielles a achevé de lever les ambiguïtés, avec notamment la stature de Premier-ministrable du candidat de Debout la France aux côtés de Marine Le Pen. « Christelle » avait elle-même anticipé cette évolution des choses, puisqu’en 2017 on la retrouve administratrice d’un site internet intitulé Les Femmes avec Marine (lesfemmesavecmarine.com) ou tout au moins propriétaire de ce nom de domaine.

C’est là le second point révélé dans le paragraphe du Muslim Post consacré au parcours politique de « Christelle ». Cette dernière s’avère être administratrice d’un ou plusieurs sites d’extrême-droite : Femme Française, Femme Patriote, Les Femmes avec Marine ; les adresses de ces deux derniers sites renvoient désormais vers une vidéo Youtube litigieuse concernant Tariq Ramadan et ont pu correspondre initialement soit à des sites distincts, soit à des adresses de redirection vers le premier site.

Seul le site-racine Femme Française est toujours actif, avec un avertissement mentionnant que « notre graphiste » a été calomnié par des « islamistes » et des « complotistes » (*), suivi là aussi de deux vidéos sur Tariq Ramadan. Le site Femme Française comporte de nombreux articles ouvertement islamophobes et oriente également vers le réseau social « patriote » Miogaror, lequel est géré par le/la même administrateur/rice.

Une recherche sur internet permet de confirmer tous ces éléments : Website Informer mentionne que chacun de ces sites est enregistré sous le nom de Paule Aline et sous l’adresse mail pejaa@live.fr (Paule-Emma Jeanne Adam Aline ; correspondant également aux pseudonymes « Aline rédactrice en chef, Emma éditorialiste, Jeanne éditorialiste, Paule éditorialiste » sur le site Mode Française) ; et Google conserve les traces de la page Facebook associée à Femme Française, mentionnant notamment l’adresse totalk@protonmail.com qui avait été créée par « Christelle » pour être jointe dans le cadre de l’affaire Tariq Ramadan. Enfin, le site Les Plaignantes, créé là aussi par « Christelle », fin février, présente exactement les mêmes caractéristiques que le site Femme Française : même charte graphique, même système d’arborescence et de navigation, même ligne éditoriale polémique et formule de copyright identique.

(*) « Notre graphiste et notre site ayant été cités et calomniés par des adeptes de secte ‘islamistes et complotistes?’ et journalistes ‘douteux et aux ordres de cette secte?’ non avares de mensonges : Nous leurs offrons donc ses cadeaux [vidéos sur Tariq Ramadan] pour chacune de leurs visites en droit de réponse. »

Femme Française – page d’accueil

Le problème ici est que hormis le Muslim Post, aucun autre média ou organe de presse n’a enquêté sur le parcours de « Christelle », ni relayé ces nouveaux éléments, alors que le profil de l’accusé a été décortiqué dans tous les sens, bien souvent pour noircir le portrait d’un coupable idéal. Ainsi, parmi plusieurs journalistes approchés en amont de la rédaction du présent article, deux ont répondu en privé sur l’engagement politique de la plaignante : « ce n’est pas quelque chose que ‘Christelle’ a dissimulé » ; « que certaines plaignantes soient proches ou membres de tel ou tel mouvement (y compris d’extrême droite) – ou bien que ces mouvements les soutiennent – n’empêche pas qu’elles aient pu subir des violences sexuelles comme elles l’affirment » ; et « on peut aussi avoir fréquenté Soral et avoir été violée ».

Or, mis à part les « révélations » de Vanity Fair laissées en l’état sans jamais avoir été approfondies, il est inexact d’affirmer que « Christelle » n’a rien dissimulé de son parcours politique. Et si tel avait été le cas dans le cadre d’éventuelles confidences faites à la presse, alors manifestement cette dernière a fait le choix de ne rien en dire. En outre, il apparait dans ces deux réponses concordantes que l’éventualité que la plaignante ait pu ne pas avoir été violée n’a semble-t-il jamais été envisagée sérieusement, cette piste apparaît donc avoir été exclue du champ de l’enquête journalistique, y compris quand se pose la question d’un éventuel mobile politique. Cet exemple reflète assez fidèlement l’attitude de la presse en général sur cette affaire.

• Le Muslim Post et Le Point : le « plan » de Christelle

Les révélations délivrées dans l’article du Muslim Post se poursuivent avec l’évocation d’un « plan » qu’aurait envisagé « Christelle » en amont de sa rencontre avec Caroline Fourest en novembre 2009 (comme mentionné plus haut). Le Point, qui a eu accès aux mêmes éléments du dossier, semble désormais vouloir prendre ses distances avec les papiers unilatéralement à charge de son correspondant genevois Ian Hamel (qui compte parmi les détracteurs de Tariq Ramadan) et produit un premier compte-rendu impartial et factuel sur le volet judiciaire.

Il est ainsi relevé que, dans un échange Skype avec une autre femme (Denise) ayant pris contact elle aussi avec Caroline Fourest, « Christelle » évoque un « plan imparable » pour faire tomber Tariq Ramadan, consciente que « pour déclarer la guerre à cet homme, [il faut] être plus de trois personnes ». Elle expliquera a posteriori ce plan à la juge : « constater médicalement, porter plainte et ouvrir un blog », sans pouvoir se rappeler la chronologie exacte des faits, car à cette époque elle « buv[ait] de l’alcool ». Le Muslim Post révèle d’autres extraits de cet échange Skype, où, comme évoqué précédemment, « Christelle » précise que Caroline Fourest « fait partie de [son] plan », et, parlant de Tariq Ramadan, s’enthousiasme avec Denise à l’idée de « faire tomber sa carrière politique a [leur] façon ».

[24.10.2009 15:39:06] Denise: quel est ton plan?
[24.10.2009 15:39:12] Paule-Emma : je ne peux pas le dire
[24.10.2009 15:39:13] Paule-Emma: désolé
[24.10.2009 15:39:26] Denise: je pense qu’on devrait etre ensemble et parler à fourest
[24.10.2009 15:39:27] Paule-Emma: pour celà je dois faire cavalier seule mais je regroupe tout ce qu’il faut
[24.10.2009 15:43:53] Denise: qu’en penses tu de contacter fourest?
[24.10.2009 15:44:00] Paule-Emma: c’est prévue
[24.10.2009 15:44:06] Denise: il y a un débat organiser en novembre entre Lui et elle
[24.10.2009 15:44:07] Paule-Emma: elle fait partie de mon plan

Après le contact noué avec Caroline Fourest :

[26.10.2009 09:28:39] Paule-Emma: j’ai eu une reponse de caroline fourest
[26.10.2009 09:28:56] Denise: bonjour!
[26.10.2009 09:29:26] Denise: et bien moi aussi, ce matin!
[26.10.2009 09:29:31] Paule-Emma: mdr
[26.10.2009 09:29:38] Paule-Emma: elle ne veut pas l’attaquer dans ce sens
[26.10.2009 09:29:56] Denise: je comprends
[26.10.2009 09:30:48] Paule-Emma: mais nous on va s’occuper aussi de faire tomber sa carrière politique a notre façon lol

Dans un article suivant, le Muslim Post relate l’extrait d’une conversation ultérieure avec Denise, datée du 18 février 2010, où « Christelle » s’estime harcelée « par des journalistes merdiques, les éditeurs foireux, les fachos, les RG, les politiciens, etc. qui veulent tous [l’]utiliser pour leurs intérêts perso ».

• Le silence éloquent de Caroline Fourest

En février dernier, Caroline Fourest prévient qu’elle « n’a pas le goût pour les victoires ressassées » et qu’elle sera absente durant plusieurs mois en raison du tournage d’un film. Malgré son indisponibilité, elle publie plusieurs éditoriaux dans Marianne sur d’autres sujets et continue de communiquer sur les réseaux sociaux.

Depuis son départ jusqu’aux révélations du Muslim Post datées du 11 avril, elle communique encore une douzaine de fois en deux mois au sujet de l’affaire Tariq Ramadan sur Twitter et Facebook. Depuis lors, silence radio : depuis les révélations du Muslim Post jusqu’au mois de juillet, elle n’aura communiqué que trois fois en trois mois sur le dossier, notamment pour se différencier d’Eric Zemmour qu’un journaliste suisse avait associé à son image dans la dénonciation de Tariq Ramadan.

Ce silence est d’autant plus stupéfiant que d’importants développements sont survenus dans l’affaire et que l’avocat de la défense a cité son nom lors de nouvelles révélations. Ainsi Me Marsigny a-t-il fait référence à d’anciens mails rédigés par « Christelle », issus du dossier judiciaire :

« [Christelle] raconte en 2010 qu’elle a subi des pressions des renseignements généraux, que le président de la République est prêt à lui payer le meilleur avocat de France pour déposer plainte contre Monsieur Ramadan, puisque le président veut le chasser. Ce n’est pas la défense qui le dit, c’est la plaignante qui l’écrit. »

(…)
« Elle raconte qu’elle a eu quatre contrôles fiscaux, ses comptes bancaires ont été bloqués parce que Caroline Fourest lui avait envoyé les renseignements généraux pour déposer plainte contre monsieur Ramadan et que ne le faisant pas, elle a été affamée pour pouvoir le faire ».

(…)
« Christelle raconte d’ailleurs dans ses emails que de toutes façons les Arabes, et bien tous n’ont qu’une hâte, c’est de taper leur femme et de la tromper et c’est normal ».

Me Emmanuel Marsigny – Europe 1 (02/05/18)

Le malaise de Caroline Fourest peut se comprendre à plusieurs titres, en formulant une hypothèse. Tout d’abord, elle apprend qu’elle aurait pu éventuellement avoir été piégée par « Christelle », et surtout que celle-ci est une militante d’extrême-droite, qui plus est dont elle a assuré la défense.

Ensuite, au fil des mois, l’affaire Tariq Ramadan n’a pas pris la tournure attendue s’agissant des révélations portant sur le crime de viol, alors qu’il s’agit d’un dossier sur lequel elle s’est exposée et investie – là où, rappelons-le, le Front national s’est tenu à l’écart avec beaucoup de prudence. De même, Caroline Fourest n’ayant cessé de rappeler qu’il fallait respecter la parole des plaignantes, les nouvelles révélations la mettent en porte-à-faux à double titre : soit les écrits de « Christelle » relèvent des élucubrations de la plaignante qui se discrédite elle-même ; soit ces écrits sont fondés sur des faits et compromettent alors Caroline Fourest.

Mais par dessus tout, cette séquence s’avère désastreuse parce qu’elle révèle qu’une partie du plaidoyer anti-Ramadan de Caroline Fourest pourrait être biaisée. En effet, ce plaidoyer repose notamment sur des certitudes nourries depuis près de dix ans s’agissant de viols qu’aurait commis Tariq Ramadan, preuve implacable de sa duplicité et de sa dangerosité selon la journaliste, mais qui pourraient ne pas s’être produits.

L’on voit qu’après les révélations au sujet de « Christelle », Caroline Fourest s’est astreinte au silence et a tenté de se raccrocher au sort des deux autres plaignantes. Début juin, elle twitte un article relativisant la décision de justice ayant écarté une nouvelle mise en examen de l’accusé dans le cadre de la troisième plainte, celle de « Marie » (tweet entretemps disparu).

Le 20 juillet, elle twitte deux articles du Figaro dont manifestement elle espère qu’ils participeront à faire oublier la deuxième volteface consécutive de Henda Ayari lors de sa confrontation avec Tariq Ramadan, ainsi que la procédure de démise en examen récemment demandée par l’avocat de la défense. Or, en reportant ses espoirs sur Henda Ayari, Caroline Fourest n’en est probablement qu’au début de ses peines.

Suite

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