L’histoire d’état dans tous ses états ....

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De chaque voyage, même très court, que j’ai effectué en Tunisie, je suis revenu toujours groggy de ce que j’avais vu comme crimes de lèse-majesté, surtout que le passé de ce pays fût essentiellement Monarchique. Et j’ai eu la réelle conviction que les crépuscules royaux étaient dans le prolongement de ce que je lis encore dans les réseaux sociaux , de ce que j’ai entendu sur place et vu de mes propres yeux . Alors que dans d’autres pays, les époques historiques passées sont un pur ravissement, je ne peux imaginer une seconde qu’elles se matérialiseront un jour chez nous.

En visitant pour la première fois et en famille le palais privé de feu mon grand-père , devenu -Beït Al Hikma- depuis 1983 (avant , c’était une boîte de nuit branchée tenue par Bourguiba Junior connue sous le nom de Zéro de Conduite ou Bey’s Palladium , un autre affront à notre famille et à notre Histoire) , j’avais été frappé de constater que l’ameublement d’époque , qui vaudrait une fortune aujourd’hui , avait bel et bien disparu , tout comme le kiosque d’été le long de la jetée menant à la mer .

Les visites à l’étage, appartement privé du Bey et de sa famille, étaient interdites sous prétexte que les chambres à coucher furent transformées en bureaux inanimés où s’amoncelait de la vulgaire paperasse. Jamais n’avait été mentionné par un quelconque écriteau, le nom de S.A Lamine Bey, ni dans son propre palais, ni sur les murs de la mosquée qu’il avait fait construire tout près de sa demeure pour s’y recueillir.

Toutes les maisons des princesses et princes aux alentours avaient été confisquées, certaines métamorphosées en tristes édifices publics. L’impasse sur laquelle donnait le palais en front de mer, avait été baptisée - Avenue de la République - pour mieux narguer le lieu.

Et pourtant , cette belle bâtisse à l’architecture typiquement de chez nous , qui avait vu arriver dans sa petite cour et ses pièces du rez-de-chaussée de nombreux hommes d’état prestigieux , aurait pu être un lieu prisé de villégiature pour un musée National à l’entrée payante , tels le palais de Versailles ou les différents palais de renom turcs , italiens , anglais ou espagnols ...

J’avais également eu l’occasion, sur proposition et en compagnie d’un cher ami, de visiter le palais de Skanès, résidence d’été du président Bourguiba. Alors que le palais estival d’Hammam-Lif , résidence estivale des Beys , se meurt à petit feu , laissé à l’abandon , dégradé par les nombreuses familles de squatteurs qui avaient désossé la structure en subtilisant marbres rares , carreaux de faïence d’époque et portes sculptées en bois noble , la résidence de Skanès est majestueuse .

Prise en charge par le Ministère de la Culture et entretenue comme il se doit (à part les extérieurs et la piscine), les visites y sont payantes et organisées par des guides. J’ai pu prendre en photo la Mercedes blindée du Président flanquée de deux fanions du drapeau tunisien, les différents salons, certains construits par des artisans marocains et d’autres par des designers français de renom (en déco des années soixante dix), le bureau et la chambre privée du Zaïm avec l’infirmerie qui y est attenante, la suite privée de la Mejda et celle de leur fille adoptive Hager Bourguiba.

Ce palais, dessiné par l’architecte Olivier-Clément Cacoub, donne sur une crique où se déroulaient les séances inédites de baignade présidentielle retransmises à la télévision tunisienne.

La pudeur m’interdit également de comparer le tombeau de S.A Lamine Bey, enterré comme le commun des mortels au cimetière Sidi Abdelaziz et celui du Président Bourguiba enterré comme un Pharaon dans son palais mortuaire de Monastir …

Quoiqu’il en soit, tous ces paysages décalés les uns des autres, résonnent dans les consciences intègres comme une injustice insupportable qui fait que la Tunisie vit toujours dans un présent chaotique.

L’avenir, elle ne le connaît pas et le passé, elle n’en a qu’un bout, bien sanctifié. Son Histoire est d’une redondance terrible. Il n’y en a toujours que pour les mêmes. Et c’est normal, puisque le pouvoir attribue généralement à nos idées sur l’inconnu, la couleur de nos conceptions sur le connu.

Je ne sais si c’est l’effet subtil du matraquage, le résultat de ces divagations enregistrées en toute hâte dans l’inconscient du peuple pendant soixante années de despotisme ou le fait du laisser-aller de la nouvelle Présidence sur le vrai regard de la Vérité.

Il m’arrive bien souvent de croire que notre Conscience Nationale est encore un jouet entre les mains de tous ces suiveurs et un sortilège éternel dont on a du mal à se libérer. Il est des jours où je voudrai rêver d’une Tunisie plurielle qui aurait grandi en ré-écrivant plus justement son passé, mais jusqu’à aujourd’hui, je vis cette chimère comme un simple figurant d’une tragi-comédie.

Dans un rare moment de distraction et d’oubli, je peux m’imaginer avoir réellement raison en brossant un autre tableau de mon pays enfin réconcilié. Mais, en vain …

La lassitude de toute cette illusion et de tout ce qu’elle comporte , la perte de cette même illusion , l’inutilité de l’avoir , l’avant-lassitude de devoir l’avoir pour la perdre ensuite , l’agacement de l’avoir eue et la honte intellectuelle de l’avoir eue tout en sachant que telle serait sa fin , est le pire des martyres imposés à mon intelligence .

À défaut d’une autre vertu chez moi, il y a tout au moins la patience et l’absence de résignation en espérant qu’un jour prochain, d’une façon ou d’une autre, mon combat, celui de ma famille et de mes amis, sera couronné de succès …

Ombre obscure et fugitive d’un pays trimillénaire, notre Histoire cultive encore la haine et la dissidence qui nuisent à l’expression de la démocratie : une infirmité mentale majeure qui prolonge le clivage que la première République avait initié …

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