Philosophie et Psychanalyse /// Ouvertures hégéliennes

Photo

Sous la dénomination générique d’idéalisme allemand, on assiste au XIXe siècle à une lutte de titans entre des auteurs dont certains ont été des camarades et des amis au tout début de leur carrière. Et il est évident que nous pouvons d’autant moins éviter le détour par cette lutte que cette dernière a été déterminante du point de vue de la conception moderne de l’âme et, également, celle de sa bonne santé.

Inutile de dire que ces modestes chroniques sont loin de pouvoir résumer l’importance des bouleversements qui sont engagés. Pour mieux les comprendre, il faudra bien sûr que le lecteur n’hésite pas à revenir sur le sujet par d’autres biais et pas qu’une fois : l’intelligence des problèmes en philosophie est affaire d’assiduité.

Maintenant, s’il fallait reprendre le fil de notre propos là où nous l’avons laissé samedi dernier, nous devrions rappeler qu’après la rupture avec Fichte et son Moi absolu intervient une seconde rupture, celle-là opérée par Hegel contre son ami Schelling…

Pour Hegel, l’Esprit n’est pas ce qui anime la nature en faisant signe dans l’âme vers une partie non consciente qui est précisément celle par laquelle est appréhendé le réel en dehors de soi. Non ! Contre la position schellingienne, il faut dire que l’Esprit est au contraire ce qui ne cesse de se libérer de la nature : la « phénoménologie » de l’Esprit, pour reprendre le titre du plus connu des ouvrages de Hegel, c’est-à-dire la science qui révèle la manifestation de l’Esprit ou son advenue dans l’histoire, cette phénoménologie, donc, nous dit que l’état de confusion entre Esprit et Nature est un état initial et que l’essence de l’Esprit réside précisément dans sa volonté de s’émanciper de cet état de confusion.

L’histoire de la philosophie, c’est-à-dire l’opposition des penseurs à travers le temps et le choc brutal de leurs différents systèmes, cela n’est en fait que la traduction de la marche héroïque de l’Esprit en direction de la vérité de son accomplissement… contre la Nature !

Les Trois Figures de l’Histoire

C’est cette marche, donc, qui réquisitionne ceux que nous appelons les grands philosophes pour les besoins de l’auto-affirmation de l’Esprit… Et cela jusqu’à Hegel lui-même, qui est par conséquent le premier penseur à se savoir lui-même en tant que lieu de l’Esprit s’auto-affirmant à travers la diversité de ses figures et selon la logique propre de sa manifestation. Ce qui, bien entendu, lui conférerait un privilège extraordinaire et légitimerait l’affirmation d’une centralité de sa pensée dans l’histoire de la philosophie, ainsi d’ailleurs qu’une centralité de la culture allemande dans la civilisation humaine… (Il y a d’ailleurs, à ce propos, un parallèle à tenter, avec toutes les précautions qui s’imposent : c’est le parallèle avec l’islam. Dans le sens où le Prophète Mohamed se fait par sa propre bouche le lieu d’une révélation divine, conférant dans le même temps à sa langue — la langue arabe — un statut particulier parmi les langues des différentes nations)…

Bref, Hegel énonçant sa pensée arrachée à l’obscurité du non-savoir par la force et la persévérance de son travail, c’est l’Esprit qui se révèle à lui-même comme conquête réalisée contre ce qui n’est pas lui… Et cette chose qui n’est pas lui, c’est la Nature !

La conception hégélienne de l’Esprit bouleverse celle de l’Histoire. Notre penseur nous éclaire au début de « La Raison dans l’Histoire » en distinguant trois formes de discours : celui de l’histoire originale, celui de l’histoire réfléchie et celui de l’histoire philosophique.

Le premier discours est celui des témoins de leur temps qui relatent les faits marquants de leur époque de telle sorte que ces derniers acquièrent la forme d’une «représentation spirituelle» conférant un sens aux événements.

Le second discours, nous dit Hegel, «transcende l’actualité» tout en posant le problème du «choix des principes dans la méthode d’interprétation et d’exposition des faits historiques». La question de la manière dont l’histoire doit être écrite devient ici centrale.

Enfin, le troisième discours, celui de l’Histoire philosophique, correspond au point de vue de l’Esprit qui «a guidé et continue de guider les événements du monde». Il s’agit d’un point de vue général, et cependant «concret et éminemment actuel».

Le passage de l’Histoire réfléchie à l’Histoire philosophique est marqué par l’abandon ou le dépassement de la guerre des méthodes en faveur d’une approche herméneutique globale qui abolit la distance entre le sujet et l’objet. Dans le sens où la vérité de l’Histoire est atteinte au moment où la globalité des événements du monde se confond avec l’acte du sujet pensant cette globalité…

Ou, si l’on préfère, au moment où le summum de l’activité de l’esprit cherchant la vérité de l’Histoire devient maximum de réceptivité face à l’Histoire révélant sa propre vérité.

Hölderlin, Poète de la voie médiane

La position de Hegel au sujet de l’Histoire est très intéressante parce qu’elle ouvre pour l’âme la perspective — stratégique — de son unité à partir de la question de son intelligence du passé et de la justesse qui caractérise sa lecture.

Les trois formes de l’Histoire que nous avons évoquées demeurent pertinentes quand il s’agit d’aborder la question de la santé de l’âme sous l’angle de sa plus ou moins bonne interprétation des événements de son passé.

Il nous faudra revenir sur ce point pour relever comment ce dernier représentant de l’idéalisme allemand qu’est Hegel est en même temps un des représentants d’une révolution de la science historique, au même titre que d’autres penseurs qui vont opérer le déplacement de l’herméneutique du champ de la théologie et de ses textes sacrés à celui de l’Histoire et de ses événements, et dont l’Allemand H.G. Gadamer et le Français Paul Ricœur sont deux références plus tardives mais illustres.

Il nous faudra relever aussi comment cette approche hégélienne de l’Histoire est en rupture avec le moralisme de Kant. Puisque, comme nous l’avons vu, le penseur de la Critique débouche sur une conception à travers laquelle la soumission à la loi morale ouvre du champ à l’idée d’un sens de l’Histoire…

Cette prise de distance avec Kant prépare à deux pensées éminentes et pour nous incontournables : celle de Nietzsche et celle de Marx !

Enfin, en revenant un peu en arrière, nous ne manquerons pas de considérer qu’à côté de cette entrée en force de l’Histoire dans notre propos, il y a une voie médiane entre Schelling et Hegel, que tente la poésie de Hölderlin : celle d’une présence des dieux dans la Nature qui intègre la dimension du temps en s’affirmant sur le mode de l’éclipse et de l’attente…

Commentaires - تعليقات
Pas de commentaires - لا توجد تعليقات