A propos de la nomination du nouveau ministre du Tourisme : «Coran ou Torah», dites-vous !

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L’annonce d’une nouvelle équipe gouvernementale, qui pourrait être le premier acte d’une sortie de crise, n’a pas eu le temps de parvenir à l’oreille des uns et des autres que, déjà, un débat s’emparait de la Toile : le nouveau ministre du Tourisme, le dénommé René Trabelsi — de confession juive — jurerait-il sur le Coran ou sur la Torah lors de sa prestation de serment ?

La prestation de serment relève du formalisme de l’Etat, ou de son ritualisme, et beaucoup considèrent que c’est un aspect mineur de la vie politique, surtout à l’heure où tant de problèmes éminemment concrets attendent des réponses.

L’essentiel, pensent-ils, est la compétence et la capacité d’apporter de meilleurs résultats au domaine dont on a la charge. Par conséquent, si le sieur René est plus apte à le faire dans le domaine qui est le sien, pourquoi s’embarrasser de vaines formalités qui ne feraient qu’ajouter un obstacle à notre situation : en manque-t-on sur notre chemin ?

D’ailleurs, ajoutent d’autres dans le même sens, si la Constitution de 2014 stipule que l’Etat tunisien est un Etat civil (article 2), que vient faire le texte religieux — de quelque tradition qu’il provienne — dans la prestation de serment d’un responsable politique ? Est-ce que, par exemple, tous les pays de tradition chrétienne utilisent la Bible en pareilles circonstances ? La réponse est non ! La France, dont nous sommes plus proches, ne le fait pas. Alors…

Alors, il se trouve que la Tunisie n’a, à ce jour, pas rompu avec la coutume de la prestation de serment qui utilise le texte coranique : on jure sur le Coran ! Et l’article premier de la Constitution, qui énonce quant à lui que l’islam est la religion du pays, semble aller dans le sens du maintien de cette coutume. Va-t-on la supprimer aujourd’hui parce qu’un non-musulman fait son entrée dans le gouvernement ?

C’est tout simplement impensable et ça ouvrirait la porte à une infinité d’adaptations et d’aménagements dont le résultat est que nos usages nationaux seraient vidés de toute leur substance au gré des circonstances…

Dans le même temps, comment ne pas voir ce qu’il y a d’étrange et d’incongru dans le fait qu’un juif prête serment en posant la main sur le Coran ? Ce n’est pas seulement tout à fait inédit, hors de toute habitude : il y a dans le texte coranique des passages dont chacun de nous sait qu’ils sont clairement hostiles au peuple juif. Plus d’un, dans le passé et aujourd’hui encore, qu’il soit un croyant enflammé ou d’une tiédeur affichée, s’en prévaut pour légitimer un sentiment antijuif que le conflit au Moyen-Orient n’a pas cessé d’entretenir depuis des décennies.

Comment ces passages coraniques sont lus, selon quelle approche herméneutique et avec quelle dose d’indigence intellectuelle : la question se pose sans doute. Mais, en attendant une relecture théologique qui nous éclairerait sur ce thème en libérant le texte d’une coloration vindicative que beaucoup se sont acharnés à accentuer, la situation actuelle est bien celle d’une relation négative.

Or prêter serment n’est pas un geste anodin. On ne peut demander à quiconque de l’accomplir de façon mécanique et impersonnelle. Jurer, pour autant que le mot ait un sens, c’est engager ce qui compte le plus pour soi, et cela renvoie aux profondeurs de l’intériorité… Jurer à la légère, ce n’est pas jurer ! Voilà pourquoi demander à une personne de confession juive de prêter serment sur le Coran, c’est lui demander d’accomplir un acte qui semble psychologiquement impossible.

D’autre part, pour les musulmans que nous sommes en majorité dans ce pays, la question se pose de savoir si nous avons le droit de faire servir notre texte sacré à un acte d’engagement dont l’auteur est étranger à la communauté des croyants musulmans : n’est-ce pas aller à l’encontre de sa nature ?

Questions graves qui ne peuvent recevoir de réponse qu’à travers des gestes graves : historiquement graves ! Des gestes qui changent la donne et qui bouleversent les modes de lecture, aussi bien du texte coranique dans la profondeur de son message que de la place du juif, et du non-musulman en général, dans la vie de notre pays… Des gestes dont le souci est de ramener au centre ce qui fut longtemps rejeté à la marge, parce que telle est la grandeur de toute civilisation qu’elle réside essentiellement dans son hospitalité !

Mais la question demeure posée : Coran ou Torah ? Et les remises en cause de cette nomination n’y changent rien. On a évoqué un problème de conflit d’intérêts en considérant que l’intéressé est lui-même un professionnel dans le secteur du tourisme. D’autres affirment — en jurant leurs grands dieux — qu’il serait détenteur de la nationalité israélienne et mettent en cause sa loyauté à l’Etat tunisien…

A quoi s’ajoute la polémique suscitée entre la présidence du gouvernement et la présidence de la République autour du non-respect présumé de l’exigence de consultation dans la formation d’un nouveau gouvernement.

Toutes ces questions, qui sont tout à fait pertinentes, ne pourront jamais faire que la question soit effacée de nos esprits : Coran ou Torah ? Et, au-delà, parce que le Dieu de l’un et l’autre texte est un : accueil de l’autre ou perpétuation d’une identité qui rime avec exclusion ?

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