Nous baignons dans une culture de l'occultation de l'héritage !!!

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La chose n'est pas nouvelle : on a eu la destruction de Carthage (et sa civilisation) par les Romains, on a eu la destruction de la Carthage romaine (et sa civilisation) par l'islam, on a eu au moins une tentative de destruction de l'héritage arabo-musulman par les Français (plus ou moins relayés par Bourguiba)...

Ce qui est nouveau, c'est le fait que ce phénomène persiste alors qu'on nous parle d'une défense de la nation et de ses couleurs. De ce point de vue, Bourguiba a été un pionnier en enterrant l'héritage des beys, et Ben Ali a emboîté le pas en recouvrant de son ombre l'héritage bourguibien... La pathologie est devenue plus perverse, et elle est toujours parmi nous.

L'affaire de la démolition des armoiries sur le fronton du palais beylical à Carthage me suggère qu'on se tromperait gravement en la traitant comme un incident isolé. Ce n'est pas un incident : c'est ce que, dans un langage freudien, on appellerait un "acte manqué". Car nous baignons dans une culture de l'occultation de l'héritage.

En fait, ce titre pompeux de "maison de la sagesse" cachait déjà une opération de recyclage, et par conséquent d'occultation, d'un édifice chargé d'histoire. Ce qui vient de se passer fait éclater au grand jour une démarche existante, jusque là insidieuse. C'est pourquoi il ne faut pas "remplacer", comme le propose l'INP. Il faut au contraire préserver le crime dans toute son évidence : il a tant à nous révéler !

L'état de délabrement des autres palais beylicaux, de quasi abandon des sites archéologiques, la léthargie du ministère de la Culture quand il s'agit de protection des vestiges des différentes époques, le fait que pour avoir des musées dignes de ce nom nous ayons besoin de l'aide de l'étranger... tout cela le prouve.

Même les courants politiques autour desquels nous nous rassemblons sont conçus, au fond, comme des moyens de négation et de destruction de telle ou telle partie de notre héritage et des valeurs qui lui sont associées - que cet héritage nous rapproche de la civilisation orientale ou qu'il rappelle nos liens avec la civilisation occidentale.

L'art de la synthèse est boudé : ignoré ou dédaigné. Ceux qui s'en réclament n'en proposent généralement qu'une forme tout à fait artificielle, qui cache mal son appartenance à tel ou tel camp destructeur. Peut-être le caractère composite de cet héritage - qui met l'opération de synthèse à l'épreuve - est-il pour quelque chose dans cette culture de l'occultation.

Il faut quand même se souvenir que nous sommes installés sur une terre qui porte les traces d'une grande diversité de civilisations, civilisations qu'il s'agirait de concilier entre elles et de faire coexister harmonieusement (ou amoureusement) dans notre mémoire collective…

Mais on a affaire là à une sorte de passion de la destruction qui s'insinue partout, à une pathologie qui se fait passer pour une marque positive de vigueur intellectuelle... Voilà pourquoi le geste qui consiste à s'en prendre au symbole d'une époque de notre passé ne trouve rien qui l'arrête : aucun obstacle mental.

Voilà pourquoi le travail de défiguration de soi va se poursuivre. La laideur de nos villes n'est pas autre chose que le reflet de cette maladie qui attend toujours, avant même le remède, l'acte de sa reconnaissance, son diagnostic comme mal réel.

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