Semaine Exécrable

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Exécrable semaine passée. Sous un ciel gris et pesant, le vent d’ouest bouscule avec hargne les cimes de mes acacias, érables et châtaigniers et la pluie qui tombe sans discontinuer transforme les allées de mon courtil en torrents et la mouillère en contrebas en étang aux rives incertaines.

Installé à demeure sur sa chaise en paille avancée devant la cheminée, mon chat César ne se risque à l’extérieur qu’après avoir longuement mesuré l’évolution des intempéries. Quant à moi, chaussé de bottes et armé d’un parapluie, il me faut malgré tout donner à mes chèvres naines leur ration de foin quotidienne. C’est ainsi qu’au matin du troisième jour, je suis fort étonné de ne voir arriver vers moi que la Biquette. Sa cousine, la Noiraude, est allongée sur la paille dans un recoin sombre de leur petite bergerie, l’œil vitreux et le pelage rêche. Son grand âge l’aura emportée : elle aurait inauguré son seizième printemps lors du prochain équinoxe.

Comment vais-je expliquer aux enfants qui raffolent de ses cabrioles que la fin de sa vie ici était arrivée et qu’elle s’en est partie désormais dans son lointain pays caprin ? Il me faudra faire preuve d’imagination. D’ici là, je vais devoir, sous l’averse et la bise glacée, lui creuser une tombe dans un endroit écarté et protéger sa dépouille des chiens errants, renards en baguenaude et autres sangliers fouisseurs.

Semaine exécrable donc. D’autant plus qu’au retour de cette tâche macabre, je découvre que l’un de mes sapins a été décapité par une rafale trop agressive. La déchirure a définitivement brisé sa course vers le ciel. Nul doute que la cicatrisation sera difficile et que champignons, pourritures et maladies ne manqueront pas de s’insinuer jusqu’à la racine même. Me faudra-t-il couper ?

En attendant, je vais devoir achever le travail de la bourrasque et dégager les entours meurtris, scier, émonder, charrier, entasser. Lourde et harassante besogne pour les jours à venir. Exécrable semaine, donc.

Mais mon tracas reste supportable au regard de la vie du monde. Pendant ce temps-là en effet, les bateleurs poursuivent leur triste parade dans nos écrans de télévision. Folle et sanglante ici, poignante là, excessivement bavarde partout, à coup de décryptages fumeux, de platitudes ressassées sans fin, de discours enflammés et creux, de petites phrases porteuses de polémiques, de commémorations grandiloquentes et de projections à courte vue sur des lendemains improbables.

En un mot, à l’image de la vallée noyée dans la tourmente hivernale, le bon peuple ne peut guère échapper aux rituelles et humiliantes exhibitions de l’émotion populaire. Et à quoi d’autre pourraient bien servir toutes ces disputations politico-médiatoques sinon à faire oublier les naufrages des migrants fuyant la guerre ou la pauvreté, le sort des sans-logis qui hantent toujours les rues de nos villes et meurent, parfois, sur un banc public ou sous un pont, la désespérance des chômeurs en fins de droits et celle de leur famille, la misère qui piétine devant les tréteaux des Restos du Cœur et autres Secours Catholique… ?

La liste est interminable et s’étire ainsi dans l’indifférence des postures soi-disant protectrices. Le proverbe bantou dit que l’homme sage se tait même lorsqu’il n’a rien à dire. Mais serait-il sage aujourd’hui de ne rien dire ? Mais est-il sage aujourd’hui de ne rien faire ou presque ? Voilà qui nous laisse et nous laissera longtemps encore bien des choses à penser.

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