C’est une constante dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Le pouvoir algérien est toujours soucieux de formalisme. Quelles que soient les circonstances, il faut que les apparences de la légalité et de la conformité constitutionnelle soient absolument respectées même si personne n’est dupe, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. L’élection présidentielle du 12 décembre prochain en est l’illustration parfaite.
D’un côté, un mouvement de contestation massive qui ne faiblit pas et, de l’autre, une campagne électorale qui prend des allures de farce tragico-comique. Un spectacle de marionnettes où l’on rit autant des autres que de soi. Le « douze-douze », est déjà jour de garagouzes, un théâtre de marionnettes.
Des candidats qui pleurent, qui ânonnent des programmes creux, des meetings tenus sous haute protection policière et devant des travées vides, un impétrant à qui la foule en colère crie « dégage », « qaw… » et qui fait semblant d’être acclamé par elle en envoyant des baisers à ses contempteurs. Tout cela n’est pas sérieux mais le général-major Ahmed Gaïd Salah a été clair à plusieurs reprises : pas d’autre issue à la crise que ce scrutin du douze-douze.
Il y a de fortes chances pour que le pouvoir aille jusqu’au bout de sa logique. Même si le Hirak arrive à perturber la « campagne électorale », même si l’instance « indépendante » des élections relève des irrégularités et un biais favorable de l’administration et de l’État profond en faveur de l’un des candidats – à choisir entre l’un des deux anciens premiers ministres en lice – le processus électoral sera maintenu.
Le jour du vote, il y aura bien le boycottage des électeurs, le blocage de nombreux bureaux de vote, l’organisation de manifestations, - certaines auront peut-être eu lieu la veille, jour anniversaire du soulèvement pacifique du 11 décembre 1960 -, et même de vraisemblables incidents entre hirakistes et « partisans » du scrutin. Tout cela n’aura que peu de chances de déboucher sur un report de l’élection. Qu’importe pour le système que le futur président ne soit élu qu’avec, au mieux, 10% de participation réelle. Un petit coup d’informatique, et elle sera officiellement déclarée à 40% voire plus. Quand on est habitué à tricher, on ne compte pas. Dans cette affaire, il n’y aura ni scrupules ni peur du ridicule.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la tenue de cette élection de la honte ne signifiera pas la défaite du Hirak. Car l’objectif fondamental du mouvement populaire n’est pas d’empêcher le scrutin à n’importe quel prix. La réticence des Algériennes et des Algériens à opter pour des modes d’actions plus radicaux, mais toujours pacifiques à l’image de la grève générale, démontre bien une certaine maturité qui entend préserver la longévité du mouvement.
Dans l’état d’esprit du pouvoir et des cachiristes, pardon des cachetonneurs, qui sévissent sur les réseaux sociaux, la tenue de l’élection devrait déboucher sur l’arrêt des manifestations. En réalité, le douze-douze est bien moins important que ce qui se déroulera le lendemain, vendredi 13 décembre 2019. Que se passera-t-il ce jour-là ?
Avec ou sans « président » élu, il est fort probable que des centaines de milliers d’Algériens sortiront une nouvelle fois dans la rue pour signifier que le combat pour une autre Algérie ne s’arrête pas et que le nouveau locataire de la Casa Mouradia devra compter avec le Hirak. Le pouvoir le sait et voilà pourquoi il pourrait envisager d’interdire les manifestations au lendemain du scrutin.
Sans faire injure aux qualités personnelles des concernés, nous savons tous que c’est le bon vouloir du chef d’état-major qui est derrière leur participation au scrutin. L’un d’eux sera élu. Lequel ? On verra bien. Une chose est certaine, sa légitimité politique sera proche de zéro. Cela, rien ne pourra le gommer, y compris les déclarations fallacieuses auxquelles nous sommes habitués après chaque scrutin.
L’intéressé aura alors deux options. La première consistera à faire comme si de rien n’était, à rester dans l’ombre de son parrain tout en cherchant – c’est la logique même du système depuis l’élection de Chadli Bendjedid en 1979 – à s’en émanciper au fil du temps. C’est une option probable qui rend la persistance du Hirak fondamentale.
La seconde option, quant à elle, serait une ouverture concédée au Hirak. La libération des détenus d’opinions, l’organisation d’une conférence nationale pour définir un vrai programme politique de sortie de crise mais aussi de développement du pays. Il est possible que le régime accepte quelques concessions sur la question des libertés individuelles mais il ne faut pas se faire d’illusions.
La mentalité des dirigeants algériens est connue : le dra3, la force du bras et rien d’autre. Autrement dit, le Hirak doit accepter l’idée, certainement décourageante, de s’inscrire dans le temps long. Mais pour cela, il y a une urgence, qui va au-delà du fait de savoir si le douze-douze sera ou non jour de scrutin. Il est vraiment temps que des initiatives politiques viennent enfin relayer le Hirak.