Le vent n’a que son souffle pour écrire sa poésie. Pour l’heure, il caresse les futaies de son haleine océane, poussant mollement devant lui des nuées grises chargée de promesses de pluies. Assortie à la grisaille du ciel, mon humeur bougonne de jardinier ne m’incite guère à chausser mes bottes et à enfiler mes gants de bûcheron.
La scie restera accrochée à son râtelier. Sous l’œil impassible de mon chat César, j’ajoute à la flambée une bûche du vieux cerisier abattu l’hiver dernier, glisse dans le lecteur le disque de la neuvième symphonie de Beethoven, seule capable de hisser l’âme au-dessus du train-train quotidien et, confortablement installé dans mon fauteuil, je me plonge dans les nouvelles de Jean-Paul Didierlaurent, Macadam.
Comme Guylain Vignolles, le Liseur du 6h27, et ses comparses, les héros traversent l’ordinaire des petites gens avec l’humilité des piétons de la normalitude. De Josef, paysan fantassin allemand, qui retrouve le bouleau polonais qui lui a jadis sauvé la vie à Arrenza Calderon, qui revit, comme chaque année, le jour le plus grandiose de sa pauvre existence. De Mathilde, l’employée du péage d’autoroute, engoncée dans sa guitoune à Gaëtan Vignal, trompettiste à l’orchestre de l’arène de Nîmes, hanté par la fausse note fatidique. Du vieux père Duchaussoy, perclus d’ennui qui trompe sa lassitude au confessionnal en s’abandonnant à son vice secret à Yvan, condamné à mort, qui s’offre un ultime repas gastronomique avec au menu escargots, Chardonnay et lapin sauce moutarde. Du garçonnet qui attend, confiant, le retour de son père parti au ciel au pensionnaire des Glycines qui regarde passer la Grande Faucheuse en rigolant. De Lisa qui a peur du croque-mitaine qui lit dans la tête des petites filles à Samuel qui, comme Hamlet, maudit le destin qui l’oblige à remettre en place le Temps disloqué.
Avec les mots simples du tous-les-jours, Didierlaurent raconte cependant des histoires qui sortent du commun et emporte avec lui le lecteur dans une délicieuse spirale où se côtoient innocemment l’angélisme le plus touchant et la perversité la plus diabolique. Avec un sens jubilatoire de la chute inattendue et avec, toujours, une chaude bienveillance empreinte de tendresse pour ses personnages qui ne sont plus, en réalité, que le reflet d’une humanité piégée dans ses contradictions, ses compromis avec le bien et le mal, ses médiocres bassesses et ses noblesses dérisoires.
"Recroquevillé sur lui-même, Émile Monestier … s’abîma tout entier dans la contemplation de son âme" et nous laisse, en tout état de cause, bien des choses à penser au sujet de nous-mêmes.
(Macadam, Jean-Paul Didierlaurent, éditions Au Diable Vauvert)