L’expérience de la « Troïka », bien qu’éphémère, s’est avéré un bon dissolvant pour les cinquante ans de dictature !
Trois ans après avoir liquidé d’abord par le consensus ensuite par les élections l’expérience, aussi mitigée et controversée soit-elle, de la Troïka, composition gouvernementale inédite issue des premières élections démocratiques en Tunisie, une certaine Tunisie, sincèrement déçue par le processus révolutionnaire et son corollaire la dynamique démocratique, continue à rabâcher le même discours sournois et lénifiant, fondé sur une réhabilitation du passé despotique à travers une diabolisation du trio qui a conduit la première étape, la plus délicate et la plus dangereuse, postrévolutionnaire ponctuée, en dépit des circonstances souvent tragiques, par l’adoption d’une nouvelle Constitution dont l’approbation quasi unanime aurait dû soulever l’enthousiasme de ceux qui nous prodiguaient conseils et recommandations sur la meilleure façon de clore le chapitre tyrannique et de jeter les bases d’une Deuxième République complètement exonérée de l’autoritarisme policier et mafieux d’antan !!!
Nous nous sommes dits, fort naïvement, que l’éviction du pouvoir de la Troïka allait apaiser les esprits et que ce « consensus » imposé par des lobbies économiques, des chancelleries étrangères et les apparatchiks de l’ancien régime, dont l’UGTT, l’UTICA et une élite domestiquée par le benalisme, déboucherait sur une coalition gouvernementale à même de redresser la situation économique désastreuse et de relancer un appareil productif paralysé par les grèves et par une contestation sociale bruyante, anarchique et violente.
Or, ni le gouvernement des technocrates ni celui d’Essid n’ont été en mesure de changer la donne et d’imaginer des réformes structurelles audacieuses, inspirés de la Constitution et fondamentalement orientées vers le développement économique des régions déshéritées par le truchement d’investissements importants et massifs dans le secteur agricole, dans la moyenne et petite entreprise et dans l’infrastructure tant routière que ferroviaire afin de désenclaver des régions dont l’isolement à la fois économique et social a accru la dépendance envers l’Etat , qui à son tour, a usé et abusé de subventions dérisoires et inadéquates, encourageant ainsi une espèce d’assistanat économique incongru, anachronique et qui au lieu de rééquilibrer le développement économique du pays au profit des régions déshéritées a pérennisé la pauvreté, la marginalisation et l’absence ou presque d’initiatives locales prometteuses en matière de développement durable et constructif.
Pire, cette politique d’assistanat a favorisé l’émergence de notabilités locales mafieuses liées à l’ancien régime et à son appareil bureaucratique, dont les fortunes frauduleuses ainsi que l’enracinement dans l’économie informelle et la contrebande constituent la meilleure preuve de cette alliance perverse entre le centre mafieux et ses périphéries délinquantes.
Nous n’allons pas nous attarder longtemps sur les défaillances devenues chroniques d’un système inique qui accoucha d’un séisme social dont les répliques, cinq ans après, continuent à ébranler l’Etat, allant jusqu’à menacer sa permanence…Son effondrement, n’est plus une vue de l’esprit, mais une probabilité au cas où le chaos prémédité et planifié se poursuivrait avec son lot d’explosions sociales de plus en plus violentes et de moins en moins enclines aux compromis fantaisistes dont la fonction consiste à absorber cette colère par de fausses promesses de nature à endiguer la lame de fond sociale écumante alors qu’en réalité, cet écran de fumée, ne fait que décupler les motifs de frustration et partant, accroitre le sentiment de détresse et de désespoir chez les « bannis du bien-être ».
L’alibi « troïka » brandi comme un épouvantail par la vieille nomenklatura politique et ses nouvelles recrues a servi pendant les élections législatives et présidentielles, il fut un argument de vente assez efficace pour réhabiliter « le vieux, l’ancien » et saccager « le neuf », timoré, inconséquent, excellant dans un dilettantisme ahurissant et dont les funestes dissonances et les incroyables pétarades concoururent d’abord à sa désagrégation, ensuite à sa défaite.
Le vote utile aidant, la Tunisie immature et bernée par les vieux filous de la politique politicienne succomba à toutes les haines irrationnelles et remit son destin à de nouveaux arrangements dont profitèrent les caciques de l’ancien régime et leurs alliés.
Ennahdha ne fut pas éradiquée, au grand dam de tous les éradicateurs, bien au contraire, elle mit de l’eau dans son vin, déjoua avec quelque habileté tous les complots qui la visaient et finit par éjecter du gouvernement tous ses ennemis potentiels.
Sortie presque indemne de son expérience gouvernementale alors que ses alliés (Ettakatol et CPR) ont implosé, Ennahdha, du haut de ses quarante ans d’existence, de ses 700000 votants et d’une discipline à toute épreuve, digne des grands partis de masse à l’effigie stalinienne, a négocié discrètement son soutien au gouvernement Essid et vraisemblablement son appui à Caïd Essebsi en échange de l’abandon de la vieille alliance gauche opportuniste/Rcédéistes au profit d’un mariage souvent fantasmé mais toujours contesté et reporté entre destouriens et islamistes.
Pourtant, l’alibi « troïka » continue à être ressassé par les sbires de la bien-pensance, comme si toutes les volées de bois vert qu’ils ont reçues depuis les dernières élections avaient été inutiles et qu’en dehors de cet exutoire lamentable point de salut.
J’ai bien peur que dans trente ou quarante ans, on continuera à imputer tous les malheurs de la Tunisie à cette expérience éphémère de la Troïka dont l’incidence mineure sur le cours de l’histoire du pays a occulté les cinquante ans de dictature, de corruption, de terreur et de dilapidation des richesses nationales ayant abouti à une révolution inéluctable.
L’indigence intellectuelle conjuguée au matraquage médiatique produit des monstres si bien que le délabrement actuel des institutions et de l’Etat risque de donner naissance à des vocations putschistes chez quelques aventuriers populistes et démagogues.
Le désespoir est dangereux en ce sens qu’il oriente le citoyen vers les solutions radicales : une deuxième révolution improbable ou un régime policier et fasciste érigé sur les décombres de la révolution.
Ce front est très actif et rassemble lieutenants et sous-lieutenants des lobbies mafieux, relayés par les divers syndicats de police, qui ont réussi, terrible affront à la République déconfite, à envahir le palais de Carthage et à menacer son hôte.
Scène pathétique, digne d’une république bananière, qui n’est pas sans rappeler les vieilles cabales instiguées par le passé par d’obscurs sergents africains ou mexicains !
Dans un Etat qui se respecte, ces syndicats auraient été démantelés sans sourciller…mais comme les complicités sont nombreuses et les intérêts convergents, on passe outre et on ferme un œil !!!