Cinéma quand tu nous tiens, on ne peut plus se passer de toi, de ta fascination, de ton art divin…Après Sishmar, Much Loved, je vais vous raconter celui que j’ai contemplé pendant les fêtes, à la salle de L’Agora à la Marsa. Après, ce sera le tour de : Frontières du Ciel, A peine j’ouvre les yeux, etc. Cela justifie un regain, un retour passionnel au septième art avec les films Tunisiens, le drapeau haut les mains et le vent en poupe…
Levons le voile sur le premier de la liste qui m’a complètement subjugué ! Surprise en cette froide nuit de décembre : l’écran s’allume sur un formidable film tourné en bandes dessinées d’une durée d’une heure trente de temps. Les personnages sont nettement dessinés, ils bougent avec grâce et légèreté, parlent d’une voix claire et poétique, ils sont beaux, rieurs et ont le regard franc, les yeux écarquillés. Je suis émerveillé par tant de sérénité émanant de l’adaptation du texte d’un auteur, Khalil Gibran, qui a vu le jour au flanc de la montagne libanaise, à côté de la vallée où Lamartine se posait pour écrire ses poèmes, admirant le vert et soyeux personnage.
Tout me satisfait lors du défilement des scènes filmiques, j’y retrouve avec allégresse son inspiration lyrique, sa sagesse foncière évocatrice d’un regard survolant les cieux et sa force acharnée de lutte acerbe contre l’injustice et la corruption. Né rebelle au pays des cèdres, il a véhiculé son esprit de révolte lors de son émigration et son appréciation démystifiée dans l’exil, sentiment exacerbé qui ne le quittait guère…
Ce film en bandes dessinées destiné aux « personnes adultes » était intrigant et fascinant, car rempli de proverbes, maximes et sermons en prose poétique. J’éprouvais un immense bonheur à le voir comme celui d’un désespoir gêné et réprimé à parcourir les pages de ce livre mince à reliure bigarrée. Je venais de découvrir que ce livre était, déjà édité et écrit en 1923 lors de son séjour forcé aux Etats-Unis, le plus lu après la Bible, donc célèbre et vivement apprécié de par le monde.
La notoriété de Gibran a dépassé l’imagination humaine, les frontières lointaines…Le Prophète a fait une extraordinaire trajectoire après on sa publication américaine, il a fait son bonhomme de chemin, en conquérant, connaissant en France et par-delà les pays étrangers, un destin de renommée similaire. Cette vogue ne s’épuise pas, elle est pareille à une source inépuisable qui ne tarit pas dans l’immense fleuve.
Ainsi, depuis presque un siècle, Khalil Gibran bénéficie d’une immense popularité et d’une indéfectible affection, puisée dans le cœur de ses précieux lecteurs fidèles, dévoués et intarissables sur son érudition. Rares et exigeants étaient certes ses admirateurs, car triés sur le volet .Marginalisé, Gibran était pour l’Europe le poète maudit, l’écrivain secret, pareil en cela à Rimbaud et à Verlaine, car son livre circule toujours incognito dans la poche d’un vieux veston, parce qu’il a osé crier haut et fort la vérité et ses tournures qui régissaient ce monde vil et sournois.
Cet écrivain, glorieux et mythique, demeure encore hors champ d’atteinte. Accusé de mimétisme Nietzschéen de Ainsi parlait Zarathoustra, de pensées confuses, de morale simpliste et de poésie banale, on voulait occulter le talent qu’il possédait d’exprimer avec force et justesse des idées et des réflexions virulentes et pertinentes, d’une singularité et d’un réalisme à vous couper le souffle.
Revenons au film : le personnage principal, Almustafa , l’élu, est emprisonné depuis des années dans un logement-prison dans la petite ville d’Orphalese : il avait attendu pendant douze ans le retour du bateau qui devait le ramener sur son île natale. Comme Ulysse de Joyce qui a passé tant de temps éloigné de son Ithaque.il s’occupe à écrire des poèmes –textes et à tracer des croquis-dessins, assis devant un bureau où il contemple la verte nature et voit les oiseaux voler.
Prophète des temps modernes, il est un amalgame de divers personnages, réels et fictifs : Zarathoustra, François d’Assise, Jésus des Evangiles, du Cantique des Cantiques et du prophète Mohammed…Le livre de Gibran est avant tout celui d’un villageois émigré, arraché à son ardente terre natale ; un homme d’Orient qui s’installe dans la glaciale tourbillonnante New York, ainsi confronté à la réalité d’une immense métropole Occidentale.
Ainsi, le film reproduit intégralement les vérités et leçons énoncées par l’auteur dans le livre. Comment ne pas être subjugué par un dialogue et un flot de paroles hors du commun ; empreints de sagesse et de tolérance pour les innombrables fois qui subsistent et se pratiquent dans ce monde ici-bas. Citons des expressions telles que : « Quand l’amour vous fait signe de le suivre, suivez-le… /Et quand il parle, croyez en lui. », « Si ce jour est pour moi celui de la moisson, dans quels champs ai-je semé mon grain, et en quelle saison oubliée ? », « L’amour ne donne rien que lui-même et il ne prend rien que de lui-même. L’amour ne possède ni ne peut être possédé ; Car l’amour suffit à l’amour ». Cette réplique me rappelle l’expression de Marguerite Yourcenar, qui dans son recueil « Feux » porte le même jugement impartial sur la notion d’amour : « Il n’y a pas d’amour malheureux : on ne possède que ce qu’on ne possède pas .IL n’y a pas d’amour heureux : ce qu’on possède, on ne le possède plus ».
Mes Amis, cinéphiles et fervents lecteurs, je ne vous en dirais plus et laisse le suspense alanguir votre attente ; le plaisir de contempler un film avec d’aussi belles images colorées et intenses, des répliques et un dialogue au ton juste, mélodieux et sentencieux saupoudré de tendresse et de délicatesse phrastique, allèche les cœurs et adoucit les esprits .Courez-le voir, puis relisez le petit livre…Vous serez autre quand vous accorderez leur vraie valeur aux rudiments de l’existence humaine :L’Amour, le Mariage, les Enfants, le Don de soi, le Travail, la Joie et la Tristesse, la Maison et le Vêtement, le Commerce, le Crime et le Châtiment, les lois et surtout La liberté d’être, d’agir en fuyant toute vanité dans un monde immatériel téléguidé par la notion d’Absurde.Allez-y ; plongez dans sa lecture limpide , vous ne le regretterez pas…