La lutte palestinienne revêt plusieurs formes, dont certaines meurtrières et qui, quel que soit leur impact politique, ont un coût en vies humaines, y compris bien sûr pour ces jeunes qui acceptent de se sacrifier afin de pouvoir proclamer, face au monde et en leur for intérieur, que non, ils n’acceptent pas l’existence indigne qui leur est proposée. Un tel acte, on peut le comprendre quand on regarde de plus près la vie quotidienne des familles palestiniennes, l’humiliation érigée en politique de la part des autorités israéliennes dans les territoires occupés, les oliviers arrachés, les villages rasés, les exactions, les insultes…
Même si on peut ne pas souscrire à la façon dont le combat de ces jeunes est mené, si on trouve qu’il fait la part trop belle à la fois au désespoir et à la vengeance, il est pour le moins difficile de les juger : sommes-nous à leur place, endurant ce qu’ils endurent, pour nous permettre de leur prodiguer de sages conseils ?
Il y a un cri de détresse derrière cette violence extrême. Mais le fait que les jeunes palestiniens engagés renoncent à leur vie devrait interpeller. A côté de la misère morale qui nourrit le ressentiment du fait de l’occupation et de la discrimination, il y a autre chose : il y a le fait que les autres formes de combat ne sont pas assez mobilisatrices. L’action diplomatique en particulier souffre d’une profonde crise de confiance : les Palestiniens n’y croient plus. Les dés sont pipés, se disent-ils : « Nous aurons beau faire valoir les injustices subies, il y a un système qui s’ingéniera à neutraliser nos voix, à retourner contre nous les accusations et, finalement, à perpétuer le statu-quo ».
Or c’est le vide, ou le peu d’efficacité des autres formes de combat, qui suscite dans la cervelle des jeunes palestiniens la pensée qu’il n’y a rien d’autre à faire que de mourir en donnant la mort. Aujourd’hui, réinventer une action diplomatique qui permette de bouleverser la donne et de mettre l’ennemi israélien réellement en difficulté comporte donc un double enjeu : d’abord reprendre une position plus intéressante dans la perspective de futures négociations et, ensuite, permettre à la jeunesse d’épargner sa propre vie et de se donner des formes de combat plus positives… Il faut rappeler ici cette donnée psychologique qui veut que le désespoir développe chez l’individu une sorte de cécité par rapport aux vraies opportunités d’action, celles qui accordent un plus grand avantage dans l’équilibre des forces.
La semaine dernière a eu lieu un événement qui illustre cette possibilité de réinventer l’action diplomatique. Le député arabe israélien Ahmed Tibi s’est rendu à Washington et a été reçu à la Maison Blanche, au Département d’Etat et au Congrès. Il s’est exprimé devant divers représentants de ces institutions en parlant de la situation, et en présentant un point de vue palestinien sur ce qui est vécu par la minorité arabe à l’intérieur du territoire israélien et, également, sur ce qui est vécu par les Palestiniens dans les territoires occupés. Ces rencontres ont reçu naturellement un assez large écho médiatique… Le moins que l’on puisse dire de pareilles initiatives est qu’elles ne sont pas inutiles. Gagner du soutien auprès de l’administration américaine et des citoyens américains, c’est quelque chose d’indispensable : le bras de fer ne pourra pas être remporté un jour si les Palestiniens croient pouvoir faire l’économie d’un tel travail. Il ne s’agit pas de larmoyer auprès d’un peuple qu’on a longtemps accusé de partialité, il s’agit de produire les arguments qui ébranlent d’anciennes certitudes et qui provoquent un glissement des positions dans l’opinion, de telle sorte que les autorités israéliennes ne puissent plus s’appuyer aussi facilement sur l’amitié américaine pour asseoir une certaine impunité.
En réalité, ce processus est déjà bien entamé, parce qu’il y a une prise de conscience générale au sujet du drame palestinien. Il s’agit par conséquent de le poursuivre, de lui conférer un niveau d’acuité toujours plus élevé grâce à une habileté rhétorique qui, il faut bien le dire, n’a pas été le fort des leaders palestiniens dans le passé. Gagner la sympathie des Américains qui sont les amis traditionnels d’Israël est un exercice difficile mais, maîtrisé, il ne pourra que leur donner plus de facilités encore en vue de convaincre les autres peuples de la terre au sujet de l’injustice subie et de la nécessité d’y mettre un terme.
Il appartient peut-être aux intellectuels arabes d’aider les jeunes générations palestiniennes à dépasser leurs déceptions et à explorer ces formes nouvelles de l’action diplomatique : celles qui privilégient les universités et les médias aux espaces confinés des structures internationales.