C’est la Saint-Valentin, dit-on, ça aurait pu être la Saint Glin-glin, les poules n’auraient pas eu pour autant de dents…Chimères consuméristes d’une société où le tout festif s’inscrit dans une logique de consommation effrénée, boulimique et béatement excitante pour ceux qui trouvent leur quotidien morose, affreusement déprimant et d’un ennui mortel !
Alors des fêtes…en veux-tu en voilà, païennes, imbibées de religieux, outrageusement profanes, tout à fait carnavalesques…peu importe, l’essentiel c’est que le bipède-omnivore ne soit pas avare en dépenses et qu’il ait l’impression, aussi fugitive et éphémère soit-elle, qu’une fois son portefeuille dégarni, il en a eu pour son argent et que le bonheur est beaucoup plus qu’une illusion mais un talisman, un gri-gri, un rituel confectionné par des prêtres du showbiz au vu de le soustraire au ronron insupportable d’un vécu insipide et terne !
Que l’on célèbre la mort, l’amour, l’amitié, la guerre, les célibataires, les divorcés, les incrédules, les naïfs…cela n’a aucune espèce d’importance, même si les rabat-joie nous accablerons de leurs sophismes tristounets juste pour nous pourrir l’existence et nous rappeler, en l’occurrence, que nous sommes des êtres frelatés, fabuleusement légers, vaguement abusés, incroyablement soumis à une sous-culture kitch, sollicitant plus nos instincts que nos neurones et conditionnant nos comportements simiesques !
Epouvantable, sinistre ! Comme s’il fallait à chaque fois s’exposer aux quolibets de la foule bigote, celle qui stigmatise ces bouffées de démence lubrique, cette bêtise organisée.
Il y a du fâcheux dans cette tendance à suggérer que l’hédonisme est le mal absolu alors que nos plaisirs les plus communs ne sont souvent que des fuites momentanées pour échapper à un malaise constant qui est la vraie caractéristique de cette société ; pas du tout hédoniste, mais très anxiogène.
L’esprit, quand il est laissé longtemps en jachère, se débrouille comme il peut et affectionnera particulièrement les plaisirs de l’excitation émotionnelle susceptibles de le ravir et de le divertir !
Oui, me rétorquerez-vous, et la culture, la vraie, celle qui affute l’esprit, aiguise la curiosité, construit la réflexion, bouscule nos conformismes, instaure en nous un libre–arbitre vigilant, critique, irréductible à la manipulation enjouée et aux conditionnements sibyllins ???
Ah, mais vous êtes futés !!!!
Posons alors correctement la question, quitte à ce que cela dérange la bien-pensance tunisienne, cette élite dévergondée et corrompue qui pendant trente ans a verrouillé l’accès au savoir, à la connaissance, à la lumière éblouissante de l’intelligence occasionnant ainsi des dégâts dont nous mesurons aujourd’hui l’ampleur tragique !
Cette élite qui a engendré des Sami Fehri, des soubrettes, des colifichets ambulants du divertissement gras, insalubre, indigeste !
Toutes les frivolités furent admises, autorisées, encouragées…pourvu que le bon peuple tolère cette sodomisation massive, ce viol indécent de sa matière grise…calcinée, meurtrie !
Quel sombre projet a guidé l’histoire récente de la Tunisie pour que nous en soyons arrivés à un point où la stupidité, et la bêtise forment un consensus implicite ?
Pourquoi 80% de nos jeunes lisent peu ou ne lisent pas du tout, pourquoi désertent-ils l’art, le cinéma, le théâtre et s’aventurent-ils dans des expressions artistiques underground violentes, redoutablement associées au vulgaire, à l’obscène, à l’ordurier, comme si la rébellion d’une jeunesse désavouée par les adultes, catapultée dans un univers de chômage et de précarité, de chaos et de confusion mentale, de drogue et de fornication débridée, devait choisir cet exutoire lamentable pour faire entendre son désespoir, sa déchéance morale, sa colère !
L’absence de créativité, d’ingéniosité, de culture est compensée par cette logorrhée verbale brutale, âcre, acide et caustique…Elle exprime une rage de vivre inassouvie et contemple, impuissante, sa détresse !
Les déceptions de l’amour-propre sont insupportables, aigres, pénibles et amères ! Le mépris de soi n’est pas austère, au contraire, c’est un extraverti, volubile et exaspéré, il est dans l’excès, dans la démesure !
L’image du moi est définitivement écornée, la blessure est profonde si bien que les plaisirs se confondent avec la souffrance et en deviennent des succédanés !
La drôlerie, c’est que nous continuons à nous voiler la face, avec cette morgue, cette suffisance de l’intellectuel mondain qui a tout compris alors que dans la foulée, haine, ressentiments, rancœurs, jalousies, frustrations s’accroissent, s’amplifient et déversent alentour négativité et souffrance !
Si nous en avions clairement conscience, nous verrions le danger, nous verrions avec évidence que dans cette direction la Tunisie fait fausse route. Nous pourrions aussi comprendre pourquoi nos jeunes sont tellement insensibles, pourquoi leurs vies sont fades et leurs plaisirs vulgaires, pourquoi ils accumulent les frustrations et finissent dans l’amertume, pourquoi leur perpétuelle recherche de stimulants n’est en réalité qu’une échappatoire à un vide existentiel. Mais nous ne voyons rien, nous ne sommes apparemment pas assez lucides et perspicaces pour nous en rendre compte.