Le prisme et l’horizon/Cuba s’octroie un nouveau rôle diplomatique

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Un des derniers pays à clore l’ère communiste, Cuba, s’active aujourd’hui à reconstruire des relations diplomatiques avec les pays «capitalistes» occidentaux, les ennemis d’autrefois. Cette évolution ne date certes pas d’hier. Voilà déjà sept ans qu’un réchauffement des relations a été entamé avec les Etats-Unis, en particulier. Mais les changements les plus visibles sont intervenus à la fin de l’année 2014, à travers l’assouplissement de l’embargo et la reprise des relations diplomatiques avec ce pays voisin…

Le 12 février, il y a donc 6 jours, un événement s’est produit à La Havane qui montre cependant que Cuba est passé d’une politique de désenclavement à une politique de construction collective de rapprochements. Cet événement, c’est la rencontre du pape François et du patriarche de Russie Cyrille 1er, qui a donné lieu à une déclaration commune : «Nous appelons la communauté internationale à des actions urgentes pour empêcher que se poursuive l’éviction des chrétiens du Proche-Orient. Elevant notre voix pour défendre les chrétiens persécutés, nous compatissons aussi aux souffrances des fidèles d’autres traditions religieuses devenus victimes de la guerre civile, du chaos et de la violence terroriste», proclame le texte en son point 9.

Bien sûr, selon une logique frigide du chacun dans son quant-à-soi, on devrait considérer que ce type de rencontres n’intéresse pas les arabo-musulmans que nous sommes, qu’il s’agit d’affaires internes à la famille chrétienne... Cette position, outre qu’elle aurait le tort d’enfermer le pays dans une attitude de repli identitaire qui n’est plus d’époque, aurait également l’inconvénient de nous faire passer à côté de faits qui, sous des dehors discrets, ont un poids réel sur la scène de notre monde. Et nous pouvons aisément comprendre cela en considérant que tout rapprochement entre catholiques et orthodoxes produit un effet immédiat sur la troisième communauté chrétienne que sont les protestants et que, dans un second temps, ce vaste mouvement au sein de la première religion du monde en termes de population ne saurait laisser les autres religions indifférentes, ni les dispenser de l’obligation de soumettre leur propre cohésion et leur propre unité à l’examen.

Le contentieux qui existe entre catholiques et orthodoxes a bien sûr des racines dans l’histoire : la querelle théologique autour de la formulation du credo, querelle dite du «filioque», mais aussi et surtout le pillage de Constantinople, capitale de l’empire byzantin, par les catholiques lors des Croisades en l’an 1204. Pendant des siècles, ces deux églises se sont tourné le dos, véhiculant chacune, sur fond d’un même message, deux pratiques fort différentes de la religion chrétienne... La chute de l’empire soviétique a laissé croire un moment que, sortant d’une longue période de persécution, les chrétiens orthodoxes iraient se jeter dans les bras des chrétiens d’Occident, dans un geste de fraternisation. Or c’est la méfiance qui a été plutôt au rendez-vous.

Le rapprochement auquel on assiste, qui a eu certes des antécédents dans le passé mais qui revêt une charge symbolique particulière aujourd’hui, se place loin des élans plus ou moins contrôlés d’un irénisme naïf. Le personnage de Cyrille 1er a une dimension politique incontestable, à telle enseigne que beaucoup d’observateurs en Occident lui reprochent sa proximité de Poutine. Ce qui ne l’a toutefois pas empêché de rencontrer Barack Obama à Moscou en 2009. Ni de se prévaloir auprès de son entourage d’une réputation d’indépendance... Quant au pape François, qu’on ne présente plus, tant le personnage est médiatique, il faut rappeler que ses origines sud-américaines sont de nature à éloigner les suspicions intempestives qu’un pape européen aurait fatalement attiré sur sa personne face à une église orthodoxe nourrie tout au long de son histoire de défiance à l’égard des tendances hégémoniques de l’Eglise de Rome.

L’ironie de l’histoire, cependant, est que Cuba, allié des Russes à l’époque soviétique, prête son sol pour un rapprochement entre orthodoxes et catholiques. Karl Marx n’en reviendrait pas de voir que sa théorie qui mettait les religions au rebut est elle-même recyclée pour servir à dégager des lieux de retrouvailles entre familles religieuses.

Entre temps, on notera que la ville de Marrakech a abrité, du 25 au 27 janvier dernier, une conférence sur la «protection des minorités en terre d’islam». Y ont assisté quelque 300 personnes venant d’une soixantaine de pays. Dans une déclaration commune, elles soulignent «l’impérieuse nécessité pour les intellectuels et toutes les composantes de la société civile de favoriser l’émergence d’un large courant social faisant justice aux minorités religieuses dans les sociétés musulmanes et suscitant une prise de conscience concernant leurs droits»... C’est que, ici en terre d’islam comme ailleurs, donner au religieux une parole qui, dans le souci de l’autre, de celui qui est fragile, ouvre une voie vers l’unité, cela revêt le caractère d’une nécessité de l’heure.

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