Dans un environnement lugubre, de stratégies politiciennes profitant surtout de la crise mais aussi de l’output intellectuellement déficitaire du système éducatif, j’ai essayé ces dernières années – comme probablement beaucoup d’amis – de me prendre en charge pour pouvoir suivre (et réagir à) l’actualité dans mon pays, en lisant au quotidien - tant peu soit-il - des références scientifiques dans les domaines Economiques, de l’Histoire et d’autres ayant trait à la ‘’Sociologie politique de la transition’’.
Ceci est dans une tentative d’avoir un minimum d’indépendance intellectuelle et éviter d’être victime de l’Industrie de l’Opinion ; soit le seul secteur performant en Tunisie depuis au moins une dizaine d’années. Cependant, au risque d’un biais de compréhension et de maitrise, cela vaudrait mieux que s'adonner aux propos parfois plats et manipulateurs d’un journalisme non nécessairement spécialisé ou de certains Politiciens n’en ayant pas la vocation.
D’ailleurs, certains spécialistes de l’Histoire, du Droit, de l’Economie et aussi de Philosophie et de la Civilisation, ont rompu avec la Science au profit de manœuvres populistes. A cet effet, sans défendre quoi que ce soit, la causalité déterministe “Islam Politique/Échec des politiques économiques, prise pour une hypothèse de départ et remise en selle, semble une idéologie sur fond de concepts a priori creux, ravivée périodiquement, à tort ou à raison, par les politiciens et les voix peu rigoureuses sinon anarchistes. Ceci étant, le mouvement Islamique en Tunisie n’est pas exempt à l’évidence de critiques et de responsabilité.
(1) Le concept d’Islam politique est postulé par les adversaires des mouvements islamiques mais aussi par un journalisme alimentant la xénophobie et la polarisation en faveur des régimes autocratiques des années 80 et suivantes, comme d’ailleurs de l’autre côté, on assiste à l’intensification plus récente de l’utilisation maladroite des termes “Gauche’’ et “Laïc’’, guidée principalement par les adhérents de l’Islamisme dans une perspective conspiratrice.
Or, si la vie est si courte pour qu'on lise des tonnes de publications sur la laïcité, le marxisme et les mouvements islamiques et les contextualiser historiquement pour un positionnement épistémologiquement correct (surtout en dépit d’une élite intellectuelle en retrait), cela n’en autorise point la non-lecture et l’ignorance face à une population dont la majorité est d’âge inférieure à 35 ans n’ayant aucun problème avec les clivages idéologiques des années 80’s. D’où l’étonnement à l’égard de la facilité de jugement de valeur chez plusieurs.
(2) je ne sais pas si le concept d’Islam Politique est à considérer depuis la venue du Prophète Mohamed dès son exécution du pouvoir politique, ou à partir de l’avènement des Omeyyades ou des Abbassides, ou peut-être dès la naissance des mouvements de groupes de confréries musulmanes pendant l'ère de la colonisation à partir de la fin du 19ème avec G. Afghani, M. Abdou et puis de H. Elbanna après la ''voix de l'Etudiant Zitounite'' de S. Naifer. ... où l’exécution officielle du pouvoir était depuis sur un sentier escarpé ; un mouvement politique qui a trouvé la société et sa culture appropriées à son expansion. Et c’est un fait.
Certes, l’expérience de Hassan El-Bechir au Soudan était l’exemple type d’un fiasco de ce qui est appelé Islam Politique, moindre dans le cas de la Jordanie, mais ceci ne se généralise pas à l’expérience Turque des années 2000’s, Malaysienne, Indonésienne ou plus récemment marocaine, ou dans certains pays du Golfe dont le revenu par tête est parmi les plus élevé au monde avec surtout un support populaire locale rarement mentionné par les critiques. Quant à Daech, et Nosra et Qaeda au Maghreb, ils sont dans le même sac que l'ETA au Pays basque, l’IRA en Irlande du Nord, la Haganah israélite, les Rednecks en Géorgie (USA)... et sont tous incontestablement condamnables.
(3) Les cas de la Syrie, du Yémen, de l'Irak et de la Libye doivent être soigneusement étudiés pour en établir les faits stylisés loin des spéculations intellectuels aventurières, car toute la décennie 2010 a été marquée par un marasme sociopolitique à sa plus haute intensité, et il est devenu clair que la géoéconomie internationale a prédominé dans tous les calculs stratégiques et les propos compassionnés.
(4) Particulièrement en Tunisie, les clivages idéologiques semblent assez superficiels et, au mieux, artificiels puisqu’ils n’identifient pas le vécu quotidien actuel des citoyens qui forment une société ethnologiquement et civilement homogène, à l’encontre des autres sociétés africaines et moyen-orientales.
En fait, la Tunisie, bien que devançant la totalité des sociétés arabes sur les questions du statut personnel et des libertés civiles, n’a pas fait naitre une Rosa Luxembourg, ni une Vera Zasulich ni un Ché Guevara, avec tout le respect dû aux plumes intellectuelles et purement indépendantes comme celle de Feu Gilbert Naccache. De plus, les programmes électoraux des partis politiques dits de gauche, de droite ou du centre sont quasiment identiques, voire paradoxaux en leur sein ; en fait, on trouve le Front Populaire adopter timidement l’économie de marché alors que ceux de droite, soutenir l’intervention de l’Etat.
En plus, le tourisme politique, en passant d’un mouvement dit de gauche à un mouvement dit de droite, montre certes la légèreté de l’âme de certains puisque sans révisions ni approfondissement, mais vérifie bien la non-distinction profonde entre les tenants d’une idéologie ou une autre.
Sans les atténuer, les guéguerres idéologiques politisées sur fond de procès d’intention ravivés dernièrement par Kaïs Saied et autres partis se proclamant de la révolution ou tardivement de l'ancien régime, semblent se mouvoir au sein de leurs sympathisants respectifs toujours en quête de leadership dans un contexte de crise multidimensionnelle.
(5) Ces clivages idéologiques révolus, introduits artificiellement dans les conflits politiques actuels ont pour objectifs essentiel de marquer le territoire politique comme le font bien les partis populistes et anarchistes et montré dans la récente littérature scientifique de la sociologie politique de la transition, mais alimentent aussi le bipolarisme superflu ; superflu, puisqu'il ne répond pas aux causes et origines du soulèvement de 2010-11.
En fait, toutes théories économiques confondues, tous modèles de développement et toutes politiques macro-économiques, toutes réformes fiscales et toutes manœuvres de lutte contre les mécanismes de captation de la rente n'ont suggéré la religion ni l'idéologie comme variables essentielles pour que l'objectif du progrès social et la dignité du citoyen soient réalisés, surtout pendant les crises.
Par ailleurs, si la violence est le seul critère de condamner tel ou tel mouvement politique, eh bien, tous sont condamnables jusqu’à relecture de l’histoire. Le Parti unique de l’autocratie déchue et ses violences perpétrées sur la population faisant en moyenne 1 (une) confrontation contre l’Etat tous les 5 ans depuis 1956, les Nationalistes et leur attaque armée et meurtrière à Gafsa en 1978, le Watad et sa violence sanguinaire en 1982 à Manouba, les islamistes responsables de la brûlerie du local du RCD de Bab Souika.
Enfin, ne pas lâcher prise et reculer dans le temps en omettant les défis actuels dans un contexte social autre que celui d’une quarantaine d’années passées serait un crime à l’égard des Tunisiens qui semblent en avoir marre. En fait, le vrai clivage est entre une classe richissime et une classe en voie de paupérisation ; clivage camouflé par une élite autoproclamée.