A l’évidence, dans un contexte macroéconomique de plus en plus fragilisé, une notation souveraine de plus en plus dégradée et une conjoncture économique et sociale morose soldée par des distorsions institutionnelles persistantes, il n’y a pas lieu à des exploits isolés ou performances singulières sauf pour les oracles.
Devenue une lapalissade, la lenteur de la croissance est la principale cause de l’étroitesse de l’espace fiscal et la persistance du chômage et la limitation à l’instrument monétaire, dus à leur tour à des politiques macroéconomiques innovatrices (budgétaires, monétaires et commerciales) mais aussi industrielles faisant toujours défaut face à un investissement peu preneur de risque surtout politique.
Bref un cercle vertueux d’interactions entre causes et effets (Ch. Sims, Lucas, Tavares…). Mais, ceci ne justifie en rien la non-reconnaissance du tort initié par la “non-décision” au moment opportun ou la décision souvent très limitée et controversée. De fait,
1- la Tunisie a raté la conception et la véritable mise en œuvre des réformes nécessaires tant attendues, pourtant faisant objet probablement de l’unique compromis collectif. Ces réformes, loin d’être créatrices, ne devraient pas être seulement partielles, techniques ou uniquement procédurales, comme elles ne sont pas des “textes”ni “idées” à archiver ou à surmédiatiser pour le compte personnel.
Les tunisiens semblent ne plus croire à des verbes conjugués au futur ni à un diagnostic comportant des “exploits” personnels imaginaires portant “stabilisation financière”, “maîtrise de l’inflation” et “réduction” -maquillée- du déficit public.
2- en matière économique et sociale, la Tunisie a raté la “gestion de la crise en 2020” dont les conséquences étaient dans le prolongement de la contre-performance déjà amorcée quelques années plus tôt. Or, la gestion de la crise est une manœuvre devant être multidimensionnelle et surtout proactive et inclusive.
Cet échec, chiffré de passage, a mis à nu le défaut d’une cohérence globale des institutions de l’Etat, mais aussi en formation/compétence parfois au plus haut niveau : les mesures dites de “sauvetage”, limitées en quantité et en qualité, souvent désaxées par rapport à la pratique internationale (peu ciblées, non-proactives et sans mesures accompagnatrices) et entachées de contradictions (privilège arbitraire de certains corps de métiers, et taxes distortives additionnelles sur certains rendements financiers), sans “quantification” des effets attendus des mesures envisagées, et à réflexion élémentaire car dites “de bon sens” faisant ainsi abstraction de la complexité de la situation, n’ont pas permis d’amortir autant que faire se peut le double choc simultané de l’offre et de la demande, objet de consensus universel dans la littérature de la récente crise.
3- quant aux mesures monétaires relevant d’un conservatisme au sens de K. Rogoff, et peu inspiré, sur fond d’une “indépendance” prise dans le sens littéral, débouchant sur une distorsion dans la sphère publique entre la banque centrale et le ministre des finances, contribuant ainsi à la dégradation humiliante de la note souveraine (de Moody’s) qui a conclu à “l’incapacité de la Tunisie à entamer des réformes”.
Entre-temps, le report du remboursement des prêts bancaires, loin de l’esprit de la circulaire 2020-6 du 19/03 exprimé dans son préambule, celle de sauvetage face à une crise, a été pris de facto pour un “rééchelonnement d’une dette à défaut de remboursement” puisque des intérêts additionnels, profitant du défaut de règles de gouvernance accompagnatrices à ladite circulaire, ont été chargés surtout aux ménages débiteurs.
En même temps, la circulaire du 30 décembre. 2020, reproduisant quasiment à l’identique celle préalable, permettrait quand même aux banques d’améliorer comptablement leur NPL ! Aux questionnements légitimes de certains parlementaires mais surtout de spécialistes tunisiens et leurs compatriotes experts internationaux reconnus, la réponse du gouverneur de la banque centrale était simplement de les dénigrer et les accuser curieusement d’être la source de la dégradation du climat des affaires devant des visages hébétés de parlementaires ayant du mal à y réagir; et ce en exprimant “son désarroi” quand les services de la BCT lui font part le matin d’une revue des billets publiés sur Facebook!
Dans ce contexte d’écart entre un discours officiel frôlant le populisme car pauvre en rigueur mais aussi élogieux des choix de politiques macro-économiques d’une part et d’une dégradation continue de la situation économique et sociale d’une autre part, l’aboutissement de cette navigation à vue est à l’évidence le blocage économique et institutionnel.
Enfin, faudrait-t-il rappeler qu’outre le professionnalisme des responsables des politiques économiques à son plus haut niveau surtout que le ministère des finances et la BCT sont dotés de compétences notoires, le courage et le véritable engagement dans les réformes semblent être le maillon le plus faible dans le cercle vertueux entre la compétence, l’honnêteté et les prérogatives d’une relance qui tarde à se réaliser.