Pour répondre à la demande de la population, pour le changement de régime, les dirigeants organisent le 12 juin une élection d’une Assemblée Nationale supposée renouveler le personnel politique et satisfaire les revendications du Hirak.
Le Hirak cependant ne demande pas une nouvelle Assemblée Nationale ; il demande le changement des conditions politiques dans lesquelles sont organisées les élections.
La population a compris que la structure du régime est incompatible avec le principe d’une Assemblée Nationale souveraine dans la mesure où le pouvoir souverain est détenu par la hiérarchie militaire. C’est le sens du slogan « madanya machi 3askarya ». Le hirak veut que la souveraineté détenue par la hiérarchie militaire soit transférée au corps électoral.
Faisons un peu de pédagogie ? Qu’est-ce que la souveraineté ? C’est la prérogative par laquelle sont désignés les représentants qui exercent l’autorité publique de l’Etat et qui promulguent des lois. En démocratie, cette prérogative appartient au corps électoral ; en Algérie, elle appartient, pour des raisons historiques, à la hiérarchie militaire. Par conséquent, il n’y a pas de place pour une Assemblée Nationale souveraine puisque la souveraineté est détenue par une autre instance.
Selon la philosophie politique, dans une démocratie, le lieu du pouvoir doit être vide, et c’est parce qu’il est vide que l’électorat envoie des représentants pour l’occuper entre deux élections. Or, en Algérie, le lieu du pouvoir n’est pas vide ; il est occupé par la hiérarchie militaire. De ce point de vue, il n’y a pas de différence entre une monarchie et une république dans le monde arabe.
Le pouvoir d’Etat en Algérie a la même structure que celui du Maroc, avec cette différence que le pouvoir souverain du roi du Maroc est inscrit dans la constitution alors que celui de la hiérarchie militaire en Algérie ne l’est pas. Cette situation impose à la hiérarchie militaire de choisir un président apolitique et sans ambitions ni charisme qui ne menace pas son pouvoir souverain.
C’est ce qui explique qu’en Algérie, le président est de facto le Premier Ministre de la hiérarchie militaire. Il est désigné par celle-ci pour diriger l’administration gouvernementale. Tous les présidents, après Boumédiène, ont été des Premiers Ministres, à l’exception de Boudiaf qui a refusé de jouer ce rôle et qui l’a payé de sa vie. La population a compris cette dévalorisation de la fonction de Chef d’Etat et l’exprime à travers le slogan « Tebboune emzouar ou jabou7 el 3askar ».
Un Chef d’Etat démuni de ses prérogatives constitutionnelles et une Assemblée Nationale sans souveraineté, sont les deux principales caractéristiques du système politique algérien reposant sur une règle non écrite : l’armée est seule source du pouvoir.
Pour faire accepter cette règle et la faire respecter par les agents de l’Etat, la hiérarchie a détourné le service d’espionnage et de contre-espionnage de sa mission d’origine et l’a chargé de surveiller et de gérer les civils considérés comme des indigènes incapables d’être des acteurs politiques indépendants.
La principale fonction de ce service est d’empêcher les administrés d’aspirer à la citoyenneté qui permet de donner son point de vue sur les affaires de l’Etat. Du point de vue de la constitution, les pratiques de ce service sont illégales. C’est le sens du slogan « moukhabarates irhabya » qui dénonce l’exercice de l’autorité publique en dehors de la loi par un service de l’Etat.
Mais le régime tient à sa façade démocratique. Il organise des élections sans liberté de la presse qui n’a pas le droit de faire connaître le point des courants politiques qui n’obéissent pas à la règle non écrite du système. Il n’accepte pas non plus l’autonomie de la justice qui n’a pas la capacité d’invalider des résultats électoraux en cas de truquages.
En amont, le régime taille l’offre électorale afin qu’elle soit compatible avec la règle non écrite sur laquelle il repose. Il favorise des candidats apolitiques attirés par le statut social de député et ses privilèges.
En aval, l’Assemblée Nationale est encadrée par les députés des partis de l’administration majoritaires, qui votent tous les projets de lois émanant du gouvernement. Les députés des autres partis n’ont pas le droit de proposer des lois, ni de créer des commissions parlementaires sur des problèmes particuliers qui rongent la société ou l’économie et dont la solution heurte la logique du régime.
Toute la stratégie est d’enlever à l’Assemblée Nationale toute velléité de souveraineté. Celle-ci ne fait que voter des projets de lois émanant du gouvernement. Par exemple, les députés ne pourront pas enquêter sur le déficit structurel des banques nationales. Comment est-ce possible qu’une banque soit déficitaire ? Ils ne pourront pas non plus se pencher sur la gestion du Ministère des Anciens Moudjahidines dont le budget est en sixième position sur 33 ministères.
Aucun député ne pourra poser la question sur le nombre très élevé des pensions des anciens combattants, sachant que la majorité des anciens combattants qui ont survécu à l’indépendance sont décédés en raison de leur âge. Cette question est sensible parce que le régime utilise les finances publiques pour entretenir des clientèles qui lui servent de bases sociales.
Les députés et sénateurs font partie de la clientèle du régime qui achète leur fidélité en leur versant un traitement à vie 20 fois supérieur au salaire minimum. Il n’existe pas de pays au monde où le revenu du député est 20 fois supérieur au salaire minimum.
Ce traitement élevé est une corruption déguisée ; c’est la contrepartie que reçoit le député pour renoncer au caractère souverain de l’Assemblée Nationale. Dans un discours vantant sa liste électorale, un chef d’un micro-parti, inconnu du public, annonçait que ses candidats ont été sélectionnés comme des fraises, les meilleures du pays.
La question est de savoir si les fraises à l’Assemblée Nationale auront du poids pour faire face aux grosses légumes du régime.