L'affaire Yassine Ayari se prête à plusieurs lectures. Elles s'étalent sur les pages en posts et en commentaires. Mais certaines hypothèses importantes sont peu évoquées. Il y en a deux au moins qui me paraissent mériter l'attention.
Première hypothèse : Yassine Ayari s'est fait des ennemis dans l'institution militaire. Qu'il connaît bien à travers son défunt père. Il a livré à la connaissance du public du "linge sale" contre les usages. Indépendamment même du contenu de ses révélations, ce qu'on ne lui pardonne pas, c'est d'avoir rompu la loi du silence, l'omerta militaire. C'est d'avoir foulé au pied un des derniers tabous qui continuent de s'imposer à la conscience de certains de nos concitoyens, dans toute sa rigueur.
Or son statut de député pouvait le protéger jusqu'ici de la vindicte. En le livrant, non pas tant à la justice, mais à la descente d'un commando vengeur, on a assouvi un désir qui grondait au sein de l'institution depuis un bon moment. Et, par le fait même, on s'est acquis les faveurs de cette institution.
C'est très utile quand on n'a pas de machine partisane derrière soi et que l'armée constitue désormais le socle de son action. Il faut que nos militaires ne voient pas dans notre président un intrus venu les sortir d'une certaine torpeur pour les besoins de ses propres projets, mais un des leurs : quelqu'un qui défend les lois et les serments de la maison. C'est seulement ainsi qu'il pourra ensuite les mobiliser au service de ses plans et, peut-être, exiger d'eux ce qui ne saurait être exigé par un président dans l'exercice normal de son mandat.
Bref, Yassine Ayari serait ici au cœur d'une opération de marchandage, pour ainsi dire.
Deuxième hypothèse : le "gel" du Parlement demeure encore l'objet d'un bras de fer entre Kaïs Saied et Rached Ghannouchi. Les déclarations publiques de ce dernier le rappellent. Elles suggèrent que tout ce qui a été annoncé le 25 juillet dernier n'est pas beaucoup plus que des mots, et une tentative sans lendemain d'appropriation de tous les pouvoirs par le président de la République, contre les termes clairs de la Constitution.
L'arrestation d'un député indépendant comme Yassine Ayari, qui ne peut être mise sur le compte d'un règlement de compte avec tel ou tel parti, est une action qui crée le fait accompli. Elle signifie que le "gel" est effectivement entré en vigueur : ce n'est pas seulement une mesure sur le papier. Et le profil de Yassine Ayari présente de ce point de vue un intérêt, parce qu'on sait que son arrestation va susciter l'émotion. Que tout le monde va en parler.
Car plus on en parlera, plus on débattra sur le bien-fondé ou non de l'opération, plus on glissera sans le savoir dans "la Tunisie de l'après 25 juillet" - pour reprendre à la vaillante Watania 1 l'intitulé de l'une de ses nouvelles émissions.
Bien sûr, que l'arrestation de quelqu'un comme Yassine Ayari jette le trouble parmi beaucoup de ses concitoyens, en particulier les jeunes, mais aussi à l'étranger, c'est le prix qu'on semble avoir accepté de payer. Bien qu'on puisse douter à ce sujet qu'on ait apprécié à sa juste valeur le coût politique de cette opération, en termes d'image.