Toute l'affaire en ce contexte est de ne pas céder à la précipitation et de savoir faire la part des choses. Il est clair que sortir de la crise politique dans laquelle le pays s'est laissé piéger ne se réalisera pas par des moyens ordinaires. Clair aussi qu'on ne s'arrachera pas à l'emprise des forces occultes de l'argent et des rentes sans des mesures exceptionnelles. Vouloir s'en tenir scrupuleusement à la lettre de la loi ne serait probablement qu'une façon de perpétuer un statu quo qui étouffe le pays.
Il y a, on doit l'admettre, une légitimité supérieure à la Constitution, dès lors surtout que celle-ci ne parvient plus, ni à répondre aux attentes ni à ouvrir des horizons.
Mais rappeler ces choses ne nous garantit absolument pas contre le risque que le geste de correction se transforme en un geste de destruction : de remplacement du processus démocratique par un nouveau pouvoir autoritaire. Or aujourd'hui, on observe une certaine multiplication de signaux qui confortent ce risque.
Des faits sont rapportés dont on a peine à considérer qu'ils relèvent des mesures exceptionnelles voulues par la "correction"... On peut certes prendre le temps de se faire une opinion : on n'est pas à l'abri de quelques fausses manœuvres, de dérapages par-ci par-là, qui ne devraient pas remettre en cause le caractère sain de l'opération dans sa globalité. Mais enfin, cela ne permet pas non plus de les évacuer, de les chasser d'un revers de main.
C'est pourtant ce que l'on observe de plus en plus. A mesure que s'accumulent les mauvais signaux se met en place chez certains un système de neutralisation mentale de l'information. Une sorte de cécité artificielle. Système dont on peut dire dès à présent qu'il constitue un phénomène absolument négatif. Se bander les yeux en pareille situation ne peut en aucun cas être une attitude justifiée.
Je me trompe peut-être, mais je compte personnellement parmi les dispositifs de ce système le texte que certaines personnes font circuler pour approbation, dans lequel ils veulent assurer le monde que tout va bien, qu'il ne faut pas croire ce que vous disent les méchants islamistes de chez nous qui parlent de putsch, etc. Comment peuvent-ils être si sûrs que tout va très bien ?
Avant de rassurer autrui au-delà des mers et à l'autre bout du monde, commençons par ouvrir les yeux sur ce qui se passe et à faire l'épreuve de la réalité sur le terrain. Cette mission par laquelle on entend influer sur le regard que l'autre porte sur nous ne nous dispense pas de passer par la case qui consiste à forger son propre regard, selon la vérité et dans la patience.
A défaut, on n'échappera pas au soupçon d'avoir inventé cette noble mission pour se donner le moyen de se plonger, en chœur, dans la cécité. Et de s'installer ainsi dans une sorte d'optimisme béat, synonyme de démission.
Festoyons ! Mais vous ne m'enlèverez pas mon droit à la fausse note…
Voilà un président qui défie la pratique de la compréhension dans sa façon de lire le texte de la Constitution. Voilà un président qui cumule désormais entre les mains tous les pouvoirs. Voilà un président dont on découvre que, aussitôt doté de ces pleins pouvoirs, des arrestations ont lieu dans des conditions troublantes, des émissions télévisées sont empêchées sans qu'on sache qui a donné les ordres...
Mais il paraît que manifester de l'inquiétude dans ces conditions, c'est faire preuve d'un esprit chagrin et d'une méconnaissance de la vraie réalité des choses. Supposons.
Acceptez donc qu'on puisse rester hanté par des épisodes du passé, que certains faits - et certaines musiques - viennent réveiller dans notre mémoire. C'est trop demander ? Il faut festoyer avec les festoyeurs ? Festoyons ! Mais vous ne m'enlèverez pas mon droit à la fausse note.