Je ne pense pas que la cinglante défaite électorale du Parti marocain de la Justice et du Développement (PJD) puisse être interprétée - comme voudront le faire leurs contempteurs automatiques - comme une nième “défaite des islamistes”.
A cela il est une raison essentielle qui est que ce PJD n’a jamais exercé le pouvoir. Comme d’autres formations d’opposition avant lui, il a accepté d’en goûter certains des avantages.
Mais ce pouvoir est toujours demeuré hors de portée de ses ministres, manié par les seules mains du roi ou de ses proches conseillers. Logiquement, le PJD paie donc aujourd’hui le prix des concessions et autres compromissions auxquelles sa volonté de se maintenir sur l’avant-scène l’ont irrésistiblement conduit.
Depuis la trahison des jeunes du 20 février jusqu’à la reconnaissance récente de l’Etat hébreu elles ont été nombreuses à lui faire inexorablement perdre son attractivité d’opposant.
L’échec électoral du PJD ne signe donc pas une “crise des islamistes” mais seulement l’échec de ceux qui ont par opportunisme cru pouvoir frayer avec les pouvoirs en place sans trahir leurs idéaux. Inéluctablement, cette génération des concessions et des compromissions va donc devoir laisser la place.
Bush, le bien, le mal et le respect des morts
“L'hommage que nous devons tous aux morts de New York et de Washington peut-il s'accommoder de ce terrible aveuglement qui laisse intacts les mécanismes et les ressorts de la violence qui les a fait mourir si injustement ? Rappelez-vous, en octobre 2000, une bombe a gravement endommagé le destroyer USS Cole en rade d'Aden (Yémen), tuant plusieurs dizaines de ses jeunes marins. Les paroles prononcées alors par Bill Clinton, le président américain de l'époque, ne laissèrent curieusement place à aucune incertitude, à aucune réflexion, à aucun doute : c'était bien le Mal absolu, produit d'on ne sait quelle perversion ou quelle dégénérescence de l'esprit, qui venait, une fois de plus, de s'en prendre à la Vertu !
Or, le même scénario est en train de se reproduire : le tragique «septembre noir» américain vient de donner au successeur de Bill Clinton l'occasion de confirmer qu'il était capable du même égarement.
Aux yeux de milliers d'habitants du Proche-Orient (mais aussi de bien d'autres parties du monde) de toutes confessions et de toutes appartenances politiques, cet « acte de guerre» avait certes conduit, en octobre 2000, à la mort de plusieurs dizaines de jeunes gens américains. Mais cet acte de guerre visait tout de même bien un bateau de guerre transportant les plus sophistiquées des armes de guerre.
Ce bateau de guerre, en route vers les côtes irakiennes où il participait régulièrement à l'embargo ou aux « frappes stratégiques », était bel et bien en train de faire la guerre. Et cette guerre, vicieuse, qui conduit encore aujourd'hui, à coups de missiles et de bombardements de haute altitude, à la paupérisation et à l'illettrisme de toute une génération d'enfants irakiens et qui est à l'origine de centaines de milliers de victimes civiles de tous âges n'est ni particulièrement héroïque ni particulièrement glorieuse.
Qu’importe ! Les occupants des tours du World Trade Center n'étaient certes pas des combattants. Mais l'absence de toute corrélation faite entre les dérives de la politique étrangère américaine et l'aversion profonde qu'elle entretient dans les cœurs de millions de citoyens du monde tout aussi respectables que ceux qui vivent sous la bannière étoilée, n'en est pas moins extrêmement pernicieuse.
Cette perversion de la diplomatie des Américains tient à ce que consciemment ou non, ils s'emploient à rendre hommes et femmes de toute une région du monde aussi violents et agressifs à leur égard qu'ils les accusent de l'être. A grand renfort de self fullfilling-prophecies (ces prophéties pernicieuses que l'on énonce et que l'on s'emploie ensuite à faire se réaliser ou ces jugements que l'on porte et qu'ensuite on fait tout pour rendre crédibles) ils dénoncent, de concert avec une partie de l'Europe, «le terrorisme islamique». Mais ils mettent dans le même temps un soin maniaque à faire que la violence la plus aveugle apparaisse ici et là dans le monde musulman comme la seule et unique forme de résistance aux abus de leur hégémonie.
De la guerre d'Algérie à celle du Vietnam en passant par la résistance au nazisme ou à la lutte des Israéliens pour obtenir leur indépendance face aux britanniques, chacun de ceux qui le veulent peut aujourd'hui savoir que ce que l'on qualifie parfois à tort (à Aden), parfois à raison (à New York), de « terrorisme » n'a souvent été que l'arme du pauvre.
Mais le pauvre n'a pas le monopole de la violence, tant s'en faut ! En Palestine, la « machine américaine à fabriquer de la haine et du désespoir politique» opère par intransigeance israélienne interposée. En Irak, elle agit plus directement, par les armes, année après année, par le biais de frappes aériennes récurrentes mais plus encore à travers un embargo aussi interminable que meurtrier.
Les centaines de milliers d'enfants qui meurent en Irak, loin des caméras de CNN, sont à tout le moins tout aussi innocents que les travailleurs du World Trade Center, voire plus innocents encore que les officiers du Pentagone ou que les marins du USS Cole. Dans la péninsule arabique, comme dans un certain nombre d'autres Etats de la région, la violence américaine opère également sous couvert de la protection de vieilles dictatures pétrolières : des régimes aussi répressifs qu'ils sont corrompus achètent (par d'énormes commandes d'armement ou par le contrôle à la baisse des cours de leur pétrole) la protection du «berceau de la démocratie»!
Politique du « deux poids deux mesures», aveux de dommages seulement «collatéraux» opérés par des frappes «intelligentes», terrible sélectivité des vetos à l'ONU et de l'émotivité face aux victimes de la violence, amalgame calomniateur de la désignation des «pistes islamiques» complètent cette terrible machine à remonter les ressorts de la violence. C'est ce dispositif meurtrier, braqué sur de futures victimes, qu'une écrasante majorité des commentateurs de la tragédie du 11 septembre ne me semble même pas avoir eu l'idée de dénoncer”.