L’issue de cette crise de civilisation passe par un accord de bon sens entre les deux principales puissances, mais son principal frein se trouve à Washington.
En été, nous avons vu les armées de la Chine, des États-Unis, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Grèce, de la Turquie, de la Russie et de l’Algérie, occupées à gérer les incendies, les inondations, les sécheresses et les mouvements de population liés aux effets du changement climatique.
En Sibérie, Californie et Australie, les incendies dévastateurs deviennent endémiques et en Afrique du Nord et sub-saharienne, comme en Amérique Centrale, s’activent des flux migratoires. En Chine, Zhengzhou, la capitale du Henan (100 millions d’habitants sur 167 000 km2), a reçu en juillet un an de pluie en deux jours, détruisant des infrastructures, faisant craquer des barrages et ruinant des récoltes, faisant plus de 300 morts. Des milliers de militaires ont été mobilisés pour prévenir et réparer les dommages causés aux barrages de la rivière Jialu dans une atmosphère de mobilisation générale.
On sait que les conséquences du réchauffement climatique vont grandement compliquer l’avenir du monde, agissant comme un multiplicateur d’instabilité, mais leurs effets et conséquences seront plus graves dans certaines régions de la planète. La Chine a tous les chiffres qui la rendent particulièrement vulnérable.
La combinaison de sécheresses et d’inondations, un classique de l’histoire ancienne chinoise, va devenir plus fréquente dans le contexte de l’augmentation annoncée des événements météorologiques extrêmes. Des régions entières deviendront sûrement inhabitables. Conjuguée à la montée des eaux de la mer, qui affectera plusieurs de ses plus grandes villes (Canton, Shanghai, Tianjin et Shenzhen), cette dynamique va occuper la puissance chinoise.
Nous passons la journée à analyser et à calculer l’ascension et la chute des différentes puissances, à comparer leur potentiel technologique, militaire et scientifique, et à pointer les foyers et les théâtres les plus probables de la rivalité militaire croissante des États-Unis et de la Chine, oubliant que le réchauffement climatique peut rendre ces estimations anecdotiques.
Comme le souligne Michael Klare, il est fort probable que d’ici le milieu du siècle, l’armée chinoise sera beaucoup plus orientée vers la lutte contre les effets du réchauffement sur son propre territoire que vers la maîtrise de son adversaire. Pourtant, ni le dernier « Livre blanc » de la défense chinoise (édition 2019), ni la Stratégie de Défense Nationale du Pentagone (2018), son équivalent US, ne mentionnent le réchauffement climatique. Tout indique qu’à l’avenir les armées - et bien sûr tout particulièrement l’Armée Populaire de Libération chinoise - devront faire face bien plus aux conséquences dramatiques du réchauffement climatique qu’à contenir, dissuader ou combattre leurs adversaires d’autres puissances.
La grande question du siècle est de savoir si cette menace, aussi diversifiée que soit sa manifestation régionale, qui est générale et planétaire, parviendra à unir l’humanité. On ne le sait pas, mais ce qui est évident, c’est que le premier pas pour une approche rationnelle de la question passe par une compréhension générale de la part des États-Unis et de la Chine sur la question.
La Chine est le premier consommateur de charbon (54% du total mondial, contre 11% en Inde et 6% aux États-Unis), tandis que les États-Unis sont le premier consommateur de pétrole (19%, suivi de la Chine 16%). Les deux pays sont également les plus gros consommateurs de gaz naturel. Au total, les États-Unis et la Chine représentent 42% de la consommation mondiale de ressources énergétiques fossiles. Les autres (Union européenne, 8,5%, Inde 6,2%) sont loin derrière. En termes d’émissions de CO2, la Chine est responsable de 30,7% et les États-Unis de 13,8 %. Aucun autre pays n’atteint un chiffre à deux chiffres (l’Union européenne dans son ensemble est responsable de 8 % des émissions).
Ces chiffres suggèrent que sans une alliance climatique entre les États-Unis et la Chine, capable d’entraîner le reste, une catastrophe mondiale sera inévitable. Selon les mots de Klare, « le réchauffement climatique ne peut pas ralentir et finalement s’arrêter si les États-Unis et la Chine ne réduisent pas drastiquement leurs émissions dans les prochaines décennies et n’investissent pas massivement -à une échelle comparable aux préparatifs d’une guerre mondiale- dans les systèmes énergétiques alternatifs ».
Pour se défendre contre la principale menace, les deux pays devraient investir non pas dans des sous-marins, des missiles, des bombardiers et des satellites militaires, mais dans la prévention de l’élévation du niveau de la mer dans leurs villes côtières, la protection contre les typhons, les inondations et les sécheresses, le reboisement et la prévention des incendies, la régénération de la surface agricole pour la rendre résistante, etc., et impliquer leurs énormes forces armées dans cette priorité de survie. Malheureusement, la tendance actuelle place clairement la militarisation et la concurrence commerciale avant la survie.
Que le début d’un accord de survie soit, fondamentalement, une question à deux, ne signifie pas, cependant, que les obstacles à sa réalisation soient égaux. Alors qu’en Chine on peut imaginer un consensus institutionnel axé sur la survie -en fait la « civilisation écologique » et l’intégration mondiale font partie des buts ultimes du discours officiel- aux États-Unis les freins institutionnels, structurels et idéologiques sont manifestes. Noam Chomsky mentionne d’abord le Parti Républicain, « dédié au bien-être des super-riches et des entreprises et complètement étranger au sort de la population et de l’avenir du monde », suivi de l’industrie pétrolière et des banques, « des institutions conçues pour maximiser le profit et indifférentes à tout le reste.
Le président Biden poursuit clairement la politique de confrontation de Trump avec la Chine, avec le soutien des deux partis. Une politique de restriction de la technologie, des investissements, du commerce, de la militarisation avec la formation d’alliances militaires anti-chinoises avec le Japon, l’Australie, l’Inde et le Royaume-Uni, la taxation des exportations chinoises et l’augmentation des contacts officiels avec Taïwan. La sortie de cette crise de civilisation passe par une alliance de survie entre les États-Unis et la Chine, mais son principal frein se trouve à Washington.