L'organe qui, en vertu de la Constitution, assure l'indépendance de la justice a été mis hors service et interdit de poursuivre sa mission. L'opération, comme chacun sait, a eu lieu de nuit, à l'heure où les voleurs se mettent à l'ouvrage.
Ainsi s'achève à peu près ce processus par lequel la démocratie, en arguant de la volonté populaire, décide de se dévorer elle-même…
Que peut-il y avoir de réjouissant dans pareille situation ? Pas grand-chose, surtout que les mêmes aficionados de l'artisan de la désertification continuent d'applaudir et de justifier, en usant du même argument selon lequel tout est pourri. Jeter l'enfant avec l'eau du bain est un dicton qu'ils ne connaissent pas, ni dans cette langue ni dans aucune autre. Et ils ne risquent pas de le connaître, parce que leur amour du savon est à la mesure de leur mépris du bébé.
Ce qu'il y a quand même de réjouissant ? Eh bien, je ne sais pas... Voyons voir ! Le Tunisien, à partir d'aujourd'hui, va pouvoir sentir encore plus clairement la menace d'une justice qui n'est plus contrôlée dans ses décisions que par un homme seul. Lui qui se révèle si oublieux, il va se souvenir de ce que veut dire l'arbitraire.
Car ce n'est pas parce qu'on a mis la justice à genoux en invoquant l'exigence d'une justice plus juste que cette justice va pouvoir s'acquitter de sa mission en disant son mot : elle est à genoux ! Livrée par conséquent à toutes les perversions possibles au service des appétits des uns ou des autres, de l'arrogance des uns ou des autres... Le mieux est l'ennemi du bien : l'ennemi mortel, en l'occurrence !
Quoi d'autre ? Oui, bien sûr, et c'est très important : il y a cette sorte de maturation d'un nouveau front démocratique. Je note que même Abir, dénonçant une nouvelle khilafa, se met à défendre la démocratie et le respect de ses mécanismes. On n'oublie pas les accents fascisants de certains de ses discours, ni ce qu'il y a de très inquiétant dans sa conception de la société tunisienne et de sa cohésion, mais ce changement de ton au profit des règles démocratiques est à relever.
S'il y avait une méfiance à observer, c'est la même que celle qu'on observe en ce qui concerne les représentants du courant islamiste. Personnellement, je ne m'interdis pas de faire rimer méfiance et encouragements. Pour les uns comme pour les autres... Le front démocratique a ses inconditionnels, ses défenseurs sincères pour qui la liberté politique est une fin et non un moyen. Mais il ne saurait être contrarié en notant que les acteurs de la scène politique se mettent à parler son langage et à défendre les mêmes principes qu'il défend. Surtout quand il sait faire la part des choses en déjouant les obstacles.