Dans un scénario d’école, la désescalade de la guerre contre le COVID – de manière tout à fait fortuite – s’est transformée sans transition en escalade de la guerre en Ukraine, Vladimir Poutine remplaçant le Virus comme ennemi public « numéro un ». En particulier, nous avons assisté au cours des deux dernières semaines à un changement marqué dans les PSYOPS, qui sont passés de la domination de l’espace d’information par la narration libérale standard à quelque chose de plus sinistre : Des fabrications quotidiennes d’atrocités et de souffrances attribuées à l’armée russe qui suscitent une véritable frénésie d’indignation et de haine dans le public pour tout ce qui est russe, et par conséquent des demandes pour que l’Occident punisse la Russie, et Poutine, en particulier.
En bref, l’extrémité à laquelle les PSYOPS sont actuellement menées suggère une préparation de l’opinion publique américaine et des États-Unis à la guerre.
Si la ligne de non-implication de l’OTAN dans le conflit ukrainien tient toujours – théoriquement -, elle s’est visiblement érodée sur les bords, avec la tentative explicite – manifestement préparée de longue date – de transformer l’Ukraine occidentale en un bourbier dans lequel la Russie (les russophobes l’espèrent) s’enfoncera impuissante – car plus elle se débat dans la boue, plus elle s’y enlise.
La question est la suivante : ceux qui croient à leur propre propagande selon laquelle l’armée russe bégaie et que Poutine devient de plus en plus vulnérable réussiront-ils à déclencher une guerre OTAN-Russie, soi-disant pour renverser Poutine ?
Cela peut sembler fou. Ce serait fou – mais la frénésie guerrière, la haine viscérale, le langage qui semble conçu pour exclure toute négociation politique avec Poutine ou les dirigeants russes, nous indiquent que la guerre est dans l’air (du moins comme une option).
En outre, comme le déclare Matt Taibbi :
« L’intellectuel néoconservateur, ancien rédacteur des discours de Reagan, John Podhoretz a récemment écrit une colonne triomphante intitulée « Néoconservatisme : Une justification ». L’article déclarait que les architectes de la guerre contre le terrorisme, comme lui, sont maintenant « de retour au sommet », les événements mondiaux leur ayant donné raison sur tout, de la police communautaire à la guerre.
Non seulement ils sont de retour au sommet, affirme Podhoretz, mais les néoconservateurs ont conquis leurs principaux ennemis intellectuels, lorsqu’il s’agit du cadre moral de la dissuasion – l’idée née au début des années 1940 d’imaginer les États-Unis comme la « première puissance du monde » – et une « force du bien ». Les ennemis ne sont plus les « libéraux branchés », affirme Podhoretz, mais plutôt les « conservateurs traditionnels » qui se sont imposés « comme les principales voix anti-US (sic) de notre époque ».
Pour être clair, après la défaite de l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale, les « décideurs américains ont considéré la retenue militaire non pas comme une vertu mais comme une recette pour le chaos. L’intervention était considérée comme inévitable, et l’isolationnisme est devenu un gros mot. Les politiciens débattaient d’engagements particuliers, mais ils remettaient rarement en question le rôle des États-Unis en tant que gendarme mondial ».
En 1996, dans Foreign Affairs, deux sommités néocons, Robert Kagan et Bill Kristol, ont fait valoir que l’effondrement de l’Union Soviétique ne signifiait pas que les États-Unis pouvaient abandonner leurs « vastes responsabilités » dans le monde. Au contraire, ils devaient projeter une force suffisante pour « montrer clairement qu’il est futile de rivaliser avec la puissance américaine ».
La réalisation d’une « hégémonie bienveillante » devait plutôt passer par l’élargissement de l’OTAN et l’abandon de toute politique permettant la survie à long terme des nations qui ne sont pas sous le contrôle de facto des États-Unis. Cela signifiait non seulement que les États-Unis devaient renverser des États « voyous » comme l’Irak, mais aussi qu’ils devraient éventuellement « changer le régime de Pékin ».
Cela représente le nouveau « jeu » interne dans la question de l’Ukraine : Les néoconservateurs pensent que l’Ukraine leur a donné raison, et leurs nouveaux alliés démocrates semblent être d’accord sur le retour politique le plus improbable des États-Unis.
Bien sûr, lorsque l’invasion de l’Irak s’est soldée par une débâcle monumentale, les néoconservateurs ont été universellement raillés, Podhoretz bredouillant des excuses. Sans surprise, dans son sillage, l’internationalisme militaire américain originel est entré dans un déclin abrupt, et l’internationalisme de la guerre des sanctions du Trésor a pris sa place – avec des objectifs peu différents de ceux des années 1940.
Cela reste vrai avec Joe Biden et le secrétaire d’État Blinken qui tiennent les rênes. Les deux hommes proclament la nécessité du leadership américain – et de la primauté étasunienne. Mais comme nous le rappelle Wertheim dans son ouvrage pionnier, Demain le monde, les élites de la politique étrangère sont élues pour assumer ce rôle. On ne leur a pas imposé ce rôle, ni dans les années 1940, ni aujourd’hui – en Europe de l’Est.
Ce qui se passe en ce qui concerne l’Ukraine, c’est que dans leur zèle à écraser l’économie russe, les faucons étasuniens ont par inadvertance ouvert la voie à la Russie et à la Chine pour commencer à créer un nouveau système monétaire, bien éloigné de la sphère du dollar US. Le message est clair : L’hégémonie financière des États-Unis prend fin. Même le Département de la Défense des Etats-Unis affirme que le statut de monnaie de réserve du dollar n’est pas dans l’intérêt des États-Unis (car ils ont délocalisé en Chine précisément les chaînes d’approvisionnement dont ils ont besoin pour se réarmer militairement en vue du conflit à venir avec la Chine).
Eh bien, par inadvertance, cet événement (l’éclipse du dollar) semble avoir donné l’occasion aux néoconservateurs de prétendre qu’ils avaient raison depuis le début et de revenir à leur argument du 11 septembre, à savoir que la force militaire US devrait être utilisée pour déposer les « méchants ».
C’est dans cette optique que nous devrions comprendre le détournement du langage des PSYOPS pour décrire le président Poutine comme « diabolique » – et pourquoi la « guerre » ne peut être entièrement écartée.