Le simulacre de l'erratum présidentiel.

Mes amies, inquiètes et quelque peu désarçonnées par le décret présidentiel n° 607 du 8 juillet 2022 [JORT n° 77 du 8 juillet 2022 ] portant « erratum » du projet de constitution publié 8 jours avant [ Décret n° 578 du 30 juin 2022, JORT n° 74 du 30 juin 2022], me demandent mon avis sur la question. Le voici très modestement si tant est que l'on y comprenne encore quelque chose dans cette pagaille générale qui a affecté la légalité constitutionnelle ainsi que ce qui fait sens de droit et de loi en Tunisie depuis le 25 juillet 2021.

1) Le décret n°607 ne porte pas simples « erratum » d’un texte antérieur. En droit les « erratum » ont pour but de corriger des erreurs matérielles, de rédaction, d’impression ou de frappe affectant un texte initial.

Deux modes sont admis :

a) La rectification expresse par un texte émanant de la même autorité et dans les mêmes formes ;

b) L’erratum proprement dit, c’est-à-dire le signalement au journal officiel des erreurs matérielles et les rectifications apportées au même endroit que la norme concernée (comme cela peut se produire pour un ouvrage, une publication quelconque). L’erratum est censé s’incorporer au texte initial ou originel dont il corrige les défauts et les erreurs matérielles et évidentes.

2) Le décret n° 607 opère une modification substantielle du texte initial. Des modifications ont touché le fond et la forme du droit donnant ainsi au texte initial une nouvelle configuration et ajoutant de nouvelles conditions et de nouvelles dispositions. Ce n’est donc pas un simple erratum.

Ces simulacres d’erratum n’ont en principe aucune portée juridique. En toute logique, « lorsque le rectificatif n’est pas destiné à réparer une simple erreur matérielle ou une omission évidente, mais qu’il se présente comme une nouvelle disposition visant à modifier le sens du texte, en pareille situation « le rectificatif n’a pas de valeur légale ».

3) Le décret n° 607 comporte à l’évidence et manifestement un détournement de formes et de procédures. Variante du détournement de pouvoir, il est constitué lorsqu’une autorité, quelle qu’elle soit, recourt à une procédure autre que celle normalement applicable afin d'éviter certaines formalités ou de supprimer certaines garanties.

Le premier détournement a consisté à se jouer d’abord des délais dans la mesure où faisant croire à un simple erratum, le texte prétend s’incorporer au premier et ne pas faire courir de nouveaux délais d’entrée en vigueur, de recours juridictionnels, voire de la date du référendum. Ce détournement peut être invoqué devant le Tribunal administratif pour contester la légalité de l’acte et en obtenir l’annulation au moyen du recours pour excès de pouvoir.

4) Le décret n° 607 comporte un deuxième détournement dans la mesure où il a usé d’un simulacre pour couvrir d’un semblant de légalité la dérogation à la dérogation apportée par le Décret-loi n°32 du 25 mai 2022 selon laquelle la nouvelle constitution objet de référendum est « publiée par décret présidentiel au plus tard le 30 juin 2022 » (Article 1er).

C’est dire au total que ces dérogations en masse témoignent du peu de cas que le chef de l’Etat accorde au droit lui dont la position et le serment portent sur le respect de la constitution et des lois du pays. Aucune limite ne semble arrêter sa course effrénée vers le pouvoir absolu.

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