Alors que des centaines de jeunes maghrébins meurent noyés et d’autres centaines crèvent dans les prisons, alors que des millions de familles algériennes, tunisiennes, marocaines ne peuvent pas se payer la pomme de terre, voilà que la machine clientéliste du marché électorale démarre. Les pions locaux du pouvoir central deviennent les architectes de la fata morgana .
Pour le pouvoir agonisant, les élections sont une bouffée d’oxygène, comme dit Giddens, les autocraties avec élections sont plus durables que celles sans élections. Le pouvoir autoritaire cherche l’adhésion des gouvernés soit par apathie routinière, soit par incapacité à concevoir une alternative, soit par acceptation de quelques valeurs communes estimées inconditionnelles (Balandier).
Pour ceci le pouvoir en place compte sur « les mécanique internes » d’une société débridée, émiettée, incapable de survivre sans bourreau et dont l’archaïsme est le seul mécanisme encore intact. Les charlatans populistes moralisant le discours et les vidant de toutes substance révolutionnaire, ainsi que les pseudo-intellectuels entrepreneurs, procurent une légitimité morale et/ou patriotique aux élections et assurent ainsi la durabilité du pacte autoritaire.
En plus des limites économiques, politiques et administratives de la circonscription , les élus locaux n’offrent ni des programmes de sortie de la crise, ni des stratégies à caractère révolutionnaire qui feraient le contrepoids local au pouvoir centrale. Bien au contraire ils assurent désormais sa continuité. Les luttes électoralistes minées par des sentiments tribalistes et ancrées dans la logique du pouvoir, donnent l’apparence de compétition démocratique or il ne s’agit que de compétitions clientélistes(Cas Tunisien et Algérien).
Ce n’est pas la peine d’essayer d’éclairer les mécanismes de perpétuation des régimes autoritaires, puisque les germes et les dispositions autoritaires gangrènent les acteurs locaux.
Pour les candidats qui au nom de faire « barrage à l’ancien » ou au nom de « la continuité », ils ne font que se disputer le privilège de servir d'intermédiaires dans les relations patron-client. Les petites guéguerres des acteurs du sectarisme ne font que réconforter le pouvoir dans sa position d’arbitre du clientélisme local.
Dépourvues de tout programme économique, politique ou de profonde réforme sociétale qui balanceraient la société locale dans la modernité et d'en faire l’avant-garde de la lutte pour la démocratie et la dignité, les sectes locales se noient dans la moralisation manipulatrice de la Oumma-tribale. Volontairement ou involontairement les candidats locaux ne sont qu’une juxtaposition de clients du pouvoir. Lorsqu’il est question de « politique », ils feraient plutôt appel à la « ruse », à des compétences non spécialisées et, sur le plan discursif, ils privilégieraient avant tout la narration de leur vécu personnel, en recourant à un langage imagé.
Les électeurs votent souvent en faveur des titulaires en dépit de leurs préférences. Il en résulte ce que Magaloni appelle la " brillance tragique " du régime. Les choix des citoyens sont libres, mais ils sont contraints par une série de dilemmes stratégiques qui les obligent à rester fidèles au régime. Les électeurs qui cherchent avant tout à profiter des avantages du clientélisme soutiennent les candidats qu'ils considèrent comme suffisamment proches du régime pour obtenir des ressources, et dont ils pensent qu'ils bénéficieront d'avantages parce qu'ils sont de la même famille, du même clan, de la même tribu, du même quartier ou du même village.
En ce sens, le pouvoir centrale et le politicard local, font de l’électeur un « avare cognitif », qui prend appui sur un ensemble « de raccourcis, de matériaux non conventionnels, ses affects, son expérience de la vie quotidienne, sa morale personnelle…, pour construire ses opinions, se repérer sans boussole idéologique dans un monde auquel il ne s’intéresse que très moyennement (Blondiaux).
Désormais parler d’élections libres dans un contexte autoritaire est une auto-tromperie. Certes ce n’est pas facile de faire des candidats et des électeurs des communards, mais il faut au moins pouvoir utiliser son intelligence émotionnelle et faire la différence entre une utopie et une dystopie.