Hormis le changement de rythme d'augmentation des prix des carburants à la pompe, passant de 3 à 1 mois, puis de 3 à 7% qui mènerait au double dans 8 mois, et au triple dans les 5 mois d'après, si le taux de change demeure stable ! La "Règle d'Ajustement Automatique" (RAA) n'a pas vocation à combler un déficit budgétaire, ni à la reconstruction du schéma de financement des entreprises publiques structurellement déficitaires (pour des raisons autres que le prix et la subvention). Elle vise à éviter le creusement du déficit public dû exclusivement à une hausse imprévue du prix mondial, en tendant - justement - vers le niveau international, toujours considéré comme "Optimal".
Initialement, l'objectif est d'augmenter le prix à la pompe de 3% lorsque le prix international augmente de plus de 5% en moyenne harmonique sur les derniers mois, visant ainsi à lisser les fluctuations. L'excédent budgétaire qui en résulte (par rapport au déficit initialement prévu dans le budget de l'Etat pour l'année en cours) devrait être redistribué sous forme de transferts directs à la partie de la population et des secteurs visés par la subvention.
Ainsi, il serait possible d'établir un système de subventions moins inéquitable et une meilleure utilisation des ressources énergétiques, mais moins d'instabilité dans la politique fiscale. Cette mesure nécessite - à la lumière de l'expérience internationale - une communication encadrant les anticipations des agents. Certains pays ont commencé par des transferts avant même d'adopter la RAA. D'autres ont commencé par cibler la population et les secteurs de manière approximative, pourtant ce sont des gros producteurs d'énergie.
Adoptée en Tunisie en 2016, - paradoxalement en gardant la même formule de détermination des prix si compliquée - après un retard de plusieurs années dû principalement à la résistance aux réformes, mais aussi à des considérations populistes sinon électorales, surtout les dernières années (Gouvernements Essid et Chahed ), les augmentations n'ont pas suivi la variabilité du marché international sur une période plus ou moins longue. Le prix local augmente quand le prix international augmente, mais ne diminue pas sinon - sauf rarement et de façon insignifiante.
Or, il semble que cette règle soit poussée à l'extrême, toujours sans mécanisme redistributif ni ciblage (réalisable en ppe en 3 semaines comme dans d'autres pays), sans ligne directrice préalablement annoncée ; ce qui ferait anticiper des hausses ultérieures car il semble que ce soit une réponse à un déficit budgétaire structurel plutôt qu'à un ajustement des prix suivant la chansonnette de l'allocation optimale des ressources à travers l'absorption des distorsions !
Ma question est de contextualiser cette tendance à réduire le déficit public de manière non conventionnelle, en agissant à la fois par la restriction budgétaire et par la dépense. La littérature fournit des repères quasi universels, dont ceux qui nous intéressent sont les suivants :
- La taille de l'État, souvent mesurée par celle du budget dans le PIB, tend à augmenter pour plusieurs raisons [Wicksell (1889), Bochanan (1949), Rodrick (1996)…, Furceriab et al., (2018) ]. Mais, en même temps, cet élargissement n'est pas sans limite (Barro (1991), Armey (1995), ...).
- La discipline budgétaire, comme l'expansion, pose un épineux problème de choix intertemporels lors d'un retournement du cycle économique, ou lorsque la dette publique est insoutenable [cas de la Tunisie]. Elle met en péril la croissance et l'emploi si elle est restrictive, et limite l'étendue du stimulus fiscal (le multiplicateur de dépenses ou d'allégements fiscaux) – d'autant plus dans les petites économies ouvertes – lorsqu'elle est expansionniste.
- Si le décideur fiscal s'endette, ou finance son déficit en créant de la monnaie, les agents économiques anticipent une hausse d'impôts ultérieure et une hausse de l'inflation, et donc limitent leurs dépenses courantes, ce qui jouerait davantage en faveur de la stagnation. A cela s'ajoutent des effets d'éviction sur l'investissement privé et le bien-être social, surtout lorsque le taux d'intérêt augmente dans un autre but, comme la stabilisation du taux de change par exemple.
- Les principaux points de vue (keynésiens standards, néoclassiques et néo- et postkeynésiens) s'accordent sur le rôle des dépenses publiques pour la relance économique, même si certains suggèrent des limites par rapport à d'autres.
- Ces effets pervers sur la croissance et donc sur les recettes de l'Etat sont plus difficiles à gérer que les effets inflationnistes et fiscaux de l'expansion budgétaire.
- Aujourd'hui - et à court terme - n'aurait-on pas dû :
(1) Privilégier un meilleur arbitrage intertemporel entre consolidation budgétaire et relance économique à moyen terme, au lieu d'étouffer l'activité économique par la fiscalité ?
(2) Eviter une politique monétaire aux effets contradictoires comme le financement du déficit public, en rachetant de la dette publique aux banques locales Vs. Relever le taux directeur, alors que le régime de change n'est certainement pas le meilleur ?
(3) Substituer la mise en place de politiques monétaires et budgétaires discrétionnaires à effets contraignants, par des règles à la Taylor par exemple ?