Quand vous habitez un pays du sud, le spectacle de l’indignation sélective des pays occidentaux devient, au bout d’un moment, lassant. Vous ne savez plus si vous devez rire ou pleurer. Car c’est toujours la même rengaine. Ainsi il y a les bonnes (celles qui nous ressemblent) et les mauvaises (les indigènes) victimes, celles qui suscitent de vives réactions scandalisées (oyez, oyez, citoyens du monde et de l’univers, souffrez parce que nous souffrons) et celles qui sont reléguées aux nouvelles brèves (passons maintenant, messieurs, dames, aux très très brèves, plus de 50000 morts dans un pays du tiers-monde…). C’est évidemment du grand comique mais on rit moins quand on sait qu’il s’inscrit dans ces logiques de pouvoir aux conséquences désastreuses.
La dernière lubie en date est l’appel au boycott de la coupe du monde au Qatar. Non que le Qatar soit en odeur de sainteté, loin, très loin de là, mais on pourrait en dire de même de ces États qui sont soutenus par l’Occident. L’exemple le plus flagrant étant celui de ce petit pays (qu’on n’ose plus nommer, l’ultime tabou selon le grand Edward Saïd), qui est au cœur de la stratégie coloniale occidentale, qui pratique l’apartheid, rien que ça, et qui massacre joyeusement et allègrement ce peuple qu’il opprime, femmes et enfants inclus.
D’où une question très idiote. Est-ce qu’on a entendu ceux qui montent aujourd’hui au créneau, tels des fauves éplorés, appeler au boycott de ce merveilleux petit pays (qu’on ne peut et qu’on ne doit pas nommer). La réponse est un ‘non’ éloquent. D’où une deuxième question encore plus idiote. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit bêtement d’une question d’intérêts. Si vous êtes intégré dans notre structure de domination, peu importe ce que vous êtes, tortionnaire, dictateur, facho, on s’en moque royalement, vous aurez droit à notre soutien mais si vous êtes hors de cette structure, si vous avez, par exemple, la malchance d’être un indigène, avec un tant soit peu de conscience politique et critique, on vous excommuniera. On trouvera toujours un nouveau prétexte pour vous taper dessus.
Hier, par exemple, la sexualité de l’indigène était irrépressible et il fallait la réprimer, aujourd’hui, sa sexualité est refoulée et il faut l’en libérer. La logique coloniale de domination est la même. On se contente de changer les lubies. Et cet habitant du sud ne peut s’empêcher de se demander : est-ce que ces gens se prennent au sérieux, est-ce qu’ils y croient ou est-ce une blague, de l’autodérision ?
Derrière cette comédie, on devine une grande fragilité existentielle. L’Occident est entré dans une phase de déclin et on tente de perpétuer par tous les moyens les structures hégémoniques de la domination. De quoi a-t-on peur finalement ? Qu’on en finisse avec un système d’exploitation et que cet autre, qu’on tente de ‘civiliser’ depuis des siècles, nous fasse l’affront de sa dignité humaine.
Le boycott, ceci dit, est parfois nécessaire. Mais boycottons toutes les répressions, toutes les terreurs d’où qu’elles viennent, hors des indignations sélectives et hypocrites.
En attendant, amis du sud et amis du nord, solidaires des indigènes, profitons-en. Bientôt ils concocteront une nouvelle lubie. Et on rigolera un bon coup, ce rire franc, grotesque, majestueux, qui a la résonance du deuil.