Ne condamnez pas Nabil Mellah en mon nom

Aujourd’hui, dimanche 4 décembre, sera prononcé le verdict du procès en appel de Nabil Mellah. Il est en prison depuis presque deux ans. Deux ans d’une injustice flagrante. Deux ans d’un arbitraire ordurier. Insensé. Confisquer la liberté d’un homme, le priver de sa famille, de sa vie, de ses habitudes, quand aucune raison, aucune loi, aucune urgence, aucune morale ne l’exigent, est un crime. Et ça doit être considéré comme tel. Un crime d’état.

Le mot n’est pas de trop. Ce n’est ni une provocation de style ni une exagération de circonstance. C’est un crime d’état. Personne n’est au-dessus des lois, on le sait et on le répète, continuellement. C’est ce qui constitue le socle sur lequel sont bâtis les sociétés dites modernes, garantes de la coexistence des êtres-humains, sinon nous plongerons dans la primitivité de la vie et du far-West, dans sa version la plus caricaturale. La plus crasse. Nous ne pouvons pas nous contenter de ce postulat, admis, certes, par l’ensemble des Hommes et des Femmes, sans lui jumeler cet autre postulat pour créer de l’équilibre. Créer du sens. Si personne n’est au-dessus des lois, les lois ne peuvent être au-dessus de la vérité pour ainsi pouvoir les piétiner ou faire semblant de les ignorer, comme nous le constatons chaque jour dans les tribunaux sourds et réfractaires à la raison.

La loi n’est pas sacrée. Elle change continuellement, au gré des forces politiques, des changements de pouvoir, des alternances, des rapports de forces, des désirs des puissants, de la puissance des monarques, de l’exigence des temps, de l’évolution des mœurs et aussi du cynisme des législateurs, parfois. Une loi n’est jamais immuable. Nous lui attribuons une forme de sacralité qui, au fond, n’en est pas. Seule la vérité est sacrée, pas dans une acception de philosophie religieuse, mais dans sa pertinence humaine.

La justice bénéficie d’une forme de sacralité à cause de la sacralité de la vérité, pas celles des lois. Et ce procès, celui de Nabil Mellah en l’occurrence, n’a pas respecté la vérité. Pire, il l’a scandaleusement ignorée. Comme d’autres procès où les vérités sont piétinées comme de vulgaires insectes nuisibles. Mais la particularité de ce procès, contrairement à d’autres, où les juges arrivent à condamner le justiciable innocent en jouant vulgairement du coude pour lui coller des accusations aussi vagues que scandaleuses ; des accusations des plus sévères que prévoit dans sa lecture aléatoire le code pénal, des accusations farfelues (comme atteinte au moral des troupe, atteinte à l’unité de la nation, tentative de renversement de régime), censées mettre hors d’état de nuire de dangereux criminels et que l’on prononce avec une légèreté prodigieuse contre de braves et simples gens qui tentent simplement de faire valoir leur droit à l’expression libre et à la citoyenneté « constitutionnellement garantie ».

Des gens lourdement condamnés, détruits, pour certains, totalement cassés, qui après un an ou deux sont libérés et innocentés avec autant de légèreté que furent prononcées leurs condamnations à ces lourdes peines. Tout le monde sait que ces condamnations sont scandaleuses et qu’elles ne correspondent à aucune vérité. Tout le monde le sait, même cette justice qui les prononce avec honte dans un chuchotement de cimetière. Je disais que personne n’est au-dessus de la loi. Et que la loi ne peut se prévaloir d’être au-dessus de la vérité. Même pas ces juges, empressés d’en découdre, empressés de condamner à tour de bras des innocents, après des réquisitoires délirants exigeants des peines insensées et inhumaines, quand le bon sens aurait sommé la libération immédiate de ces accusés, ces victimes de l’absurde, derniers otages d’un mode de gouvernance en phase finale d’agonie.

La particularité du procès Nabil Mellah

J’évoquais la particularité du procès de Nabil Mellah pour seule une raison. C’est un procès kafkaïen. J’ai eu à connaître des procès, des affaires que j’ai suivies avec attention, des procès politiques ignobles d’amis ou de militants ou de simples citoyens broyés par la machine de la répression judiciaire. La justice s’est montrée inflexible, insensible, devant la raison, l’évidence de l’innocence de ses citoyens, parce qu’elle réussit le plus souvent à appliquer sur eux quelques lois du code pénal censées protéger la société des organisations du crime ou de dangereux bandits qu’ils ne sont pas. Et là aussi, la justice le sait.

J’ai vu des professeurs d’université d’un âge certain et d’une probité prophétique se justifier d’acte de solidarité avec d’autres citoyens en difficultés que la justice, dans ses lectures aléatoires de la loi, a transformé en crime, tentative d’attenter à l’unité du pays. Des journalistes traités comme des assassins sécessionnistes pour des écrits anodins. Des poètes vantant l’amour de la patrie désignés comme dangereux complotistes contre les intérêts suprêmes de la nation, comme lors des procès de Moscou, sordide époque de l’humanité.

Mais c’était il y a presque un siècle ces procès de Moscou. Comment avons-nous glissé dans le couloir du temps, pour ainsi reproduire avec autant de minutie cette ignominie oubliée ? Cette flétrissure ? Le dossier de Nabil Mellah est non seulement vide comme le néant, mais c’est le seul dossier que je connaisse où toutes les preuves d’une innocence évidente sont appuyées noir sur blanc. Et pas avec des preuves que la défense aurait conçues et préparées, ce qui pourrait constituer aux yeux de cette justice soupçonneuse, paresseuse et frileuse : un doute, un vice de forme. Elle ne peut même pas rejeter ces preuves ou les qualifier d’insuffisants ou d’invraisemblables. Même pas. Nabil Mellah est un citoyen modèle. Un entrepreneur honnête et exigeant. Il a une vision et des convictions. Il les a exprimées. C’est tout. Et il doit être en mesure de les exprimer encore.

Il est accusé aujourd’hui, d’une infraction à « la législation des mouvements de capitaux » et « blanchiment d’argent ».Pourquoi pas ? Des hommes sans faille ont chuté en succombant à d’autres tentations. Sauf que ce n’est pas le cas. Et ce n’est pas moi qui le dis, ni sa défense ni ses amis ni sa famille... Ce sont des preuves infaillibles. Irréprochables. Les preuves de son innocence sont fournies par une expertise exigée par le juge d’instruction, issu de la même institution d’état et un autre document, signé par la banque centrale, excusez du peu, haute institution d’état aussi qui dit qu’il n’y a eu aucune infraction.

A quoi sert la justice si elle n’entend pas la raison, l’éthique et la morale ? A quoi servent les preuves si elles ne sont pas prises en considération par la justice ? A quoi servent les procès si toutes les preuves ne constituent aucun argument valable pour prouver l’innocence d’un accusé ? A rien. Et ce rien, on n’en veut pas. La justice, dans son fonctionnement approximatif, loin d’être celui d’un idéal démocratique, peut ignorer la loi, comme elle le fait allègrement, en condamnant à la pelleteuse chaque jour des citoyens dont le seul tort est de penser et d’imaginer un pays qui leur ressemble, qu’il soit proche de leurs ambitions et de leur monde pas à celui de leurs dirigeant vieillissants, disqualifiés par l’histoire et le temps.

Cette justice peut donc ignorer encore un temps la loi, faire semblant de n’avoir pas vu la vérité dans l’affaire Mellah, mais il lui est difficile d’ignorer encore cette vérité. Et cette façon de faire ne l’honore pas. Personne n’est au-dessus des lois. Et l’état ne doit pas être au-dessus des Hommes, mais il doit se situer à leur niveau, pour ne pas trop prendre le risque de les écraser en abusant de ce pouvoir terrible que nous lui avons attribué, confié.

Nous sommes la seule raison d’exister d’un Etat. Et la raison fondamentale de son existence est de nous protéger, de protéger ses citoyens, ses justiciables. Pas de protéger une pratique politique d’un pouvoir en place. Libérer Nabil Mellah est la seule issue à ce procès. Il n’y en a pas d’autres. Tout autre verdict éclaboussera encore davantage sa crédibilité. La crédibilité d’une justice déjà lourdement entachée. La vérité a déjà libéré Nabil Mellah. On attend seulement que la justice se libère pour enfin le libérer, lui, des griffes de cette abomination judiciaire.

Nous avons tendance à l’oublier : La justice est rendue au nom des peuples. C’est à dire en notre nom. Le mien. Le vôtre. Et le peuple n’a jamais voulu voir un homme innocent croupir en prison pour rien, en son nom. Jamais en mon nom. Que ce soit pour Nabil ou pour les autres détenus. Revenons à la raison.

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