Pendant la majeure partie du XXe siècle, la répression violente a été la méthode de choix utilisée par les dictateurs et les autocrates pour rester au pouvoir. Depuis le début du XXIe siècle, les progrès technologiques et un monde de plus en plus interconnecté ont augmenté les coûts de l'utilisation de la violence à grande échelle.
Les dictatures ont dû s'adapter à ces nouvelles circonstances si elles voulaient survivre sans isoler leurs pays des marchés mondiaux. En conséquence, un nouveau type de régimes autoritaires a émergé qui se concentre sur la propagande et des méthodes sophistiquées de manipulation de l'information, plutôt que de s'appuyer sur la violence et l'idéologie.
Le retour du populisme caractérise aussi la dernière décennie de ce siècle. Il devient un mode dominant du rapport aux citoyens dans des démocraties en construction/transition ou dans celles qui ont perdu le sens de la délibération publique et du bien commun.
Le populisme se nourrit donc du rapport aux humeurs du peuple qui commande aujourd’hui le rapport du pouvoir aux citoyens. Il n’est rien d’autre que cette politique qui compense l'exercice biaisé du pouvoir, à la base de l'érosion de la confiance et de l'échec de la gouvernance du pays, par une prise sur les humeurs du peuple.
Toutefois, ces dernières sont changeantes et il est le plus souvent illusoire de penser qu’on les maîtrise. C’est pourquoi les populistes sont souvent des apprentis sorciers qui peuvent conduire, toujours au nom de la satisfaction des humeurs, à des pratiques, des décisions et des législations tout à fait irrationnelles et dangereuses, l’année écoulée nous en donne de nombreux exemples.
Le populisme partage avec la dictature l'usage de la propagande comme outil principal pour alimenter la désinformation, le complotisme et la haine. La propagande n'est plus utilisée pour introduire une nouvelle vision du monde, mais simplement comme un moyen de convaincre la population que le populiste dit vrai et qu'il est compétent.
La durée d'appréciation de cette compétence est d'autant plus courte que la population est dotée d’un haut niveau d’éducation et ne se laisse pas manipuler durablement parce qu’elle parvient à saisir au moins partiellement les stratégies politiques des uns et des autres. Dans le contexte tunisien, cette durée est conditionnée par une matrice fondamentale de notre société : l’économie, c’est-à-dire la manière dont nous produisons et répartissons des richesses.
La rhétorique élitiste antipopuliste en émergence en Tunisie exploite l'incompétence du populisme en vigueur pour faire de la propagande, encore une fois, en faveur des élites seules compétentes pour dire le bien et le vrai en politique et surtout en économie.
Cette rhétorique crée implicitement une figure du peuple dangereux et ignorant. Elle prend appui sur la perception de la démocratie comme régime des incompétents, l’exacte opposée de la cité hiérarchique définie par le commandement des meilleurs, décrite par Platon.
Cette rhétorique partage donc avec le populiste l'idée selon laquelle la démocratie en général et le parlementarisme en particulier, résulte d’un processus de dégénérescence, d'incompétence et de corruption. C’est le règne de la parole à tort et à travers, celui des pauvres. Les tenants d'une telle rhétorique, souvent des figures d'un passé pas lointain, sont beaucoup plus dangereux pour l'avenir de la Tunisie que le populisme.
Enfin, il est important de rappeler que la démocratie repose sur l’idée que le politique n’est pas une question de pouvoir, elle n'est pas non plus une question de savoir, mais affaire de délibération et de participation citoyenne.
Une telle pratique ne dit ni le bien ni le vrai, ne garantit pas contre toute dérive, mais elle assure que les décisions collectives se prennent de la façon la mieux informée, la plus légitime.
La participation politique et sociale, à laquelle s'oppose fondamentalement les élitistes, représente une valeur intrinsèque pour la vie humaine et son bien-être.
La démocratie a aussi une valeur instrumentale dans l’amélioration de la réceptivité à l’expression et à la satisfaction des besoins politiques mais aussi économiques et sociaux des gens. La pratique de la démocratie évolue dans le temps et se perfectionne par l'apprentissage pour donner l’opportunité aux gens d’apprendre les uns des autres, et aider notre société à former ses valeurs et ses priorités.