Maintenant que des formules sujettes à équivoque ont été exprimées au plus haut niveau en Tunisie et que la presse internationale s’en est saisie et fort probablement les chancelleries étrangères et les gouvernements africains, la mise au point ultérieure par le président Kais Saied est la bienvenue mais risque de s'avérer insuffisante tant la question migratoire revêt une sensibilité aiguë en Afrique et en Europe.
La défense des intérêts de la Tunisie et la préservation de son tissu socio-économique est un objectif légitime dans le respect des chartes et conventions internationales ainsi que l'impératif moral découlant de notre nécessaire solidarité et fraternité avec les peuples africains de même que la préservation de la sécurité de nos émigrés en Europe de tout précédent qui risque de leur être infligé à la grande joie des courants anti-arabes et islamophobes xénophobes et souvent carrément racistes.
En admettant qu’il y ait des dizaines de milliers de ressortissants subsahariens en situation illégale sur le sol tunisien, il serait hasardeux d’envisager de les incarcérer dans des centres de détention car une telle action risque de porter un préjudice gravissime à l'image et aux intérêts de la Tunisie en Afrique et ailleurs dans le monde.
Vouloir expulser des dizaines de milliers de résidents illégaux est le rêve de tout rigoriste et de tout nationaliste aigu sans parler des xénophobes qui trouvent ainsi le moyen d’enrober leur détestation de l’autre par un pseudo patriotisme.
Toutefois, cette mesure devient diplomatiquement et matériellement impossible quand elle atteint la proportion d’un transfert de plusieurs dizaines milliers d’individus avec la nécessité d’un pont aérien extrêmement coûteux et impraticable car les repousser aux frontières libyennes ou algériennes s'avérera certainement impossible.
Compte tenu des contraintes diplomatiques et matérielles d’une telle entreprise, il serait plus réaliste de procéder par étapes comme suit:
1-Sanctionner en Tunisie tout discours et pratique discriminatoire, haineux et racistes envers les ressortissants subsahariens, abstraction faite de leur situation au regard de la loi, car rien ne justifie une déshumanisation sur le sol tunisien qui restera jusqu'à la fin des temps un pays géographiquement africain.
2-L’accélération des procédures de régularisation des ressortissants subsahariens en séjour justifié en Tunisie (études, travail, soins médicaux …).
3-Entamer avec l’Union Africaine, les ambassades africaines accréditées en Tunisie (résidentes et non résidentes), l’Organisation Internationale pour les Migrations, l'Agence des Nations Unies pour les Réfugiés et l’UNICEF, un programme de recensement et d’encadrement à court terme des illégaux subsahariens dans l’attente de la régularisation de leur situation ou de leur départ.
4-L’octroi aux illégaux recensés de permis de séjour provisoires de 6 à 12 mois pour leur permettre de régulariser leur situation ou de quitter dignement la Tunisie.
5-Éviter d’imposer des sanctions à ceux qui louent des logements à des ressortissants subsahariens pourvu qu’ils démontrent qu’ils ont été dûment recensés et ont entamé une procédure d’obtention de permis de séjour provisoire. La régularisation devra également concerner la situation fiscale des propriétaires de logements. Afin d’éviter toute perception de discrimination, il faudra veiller à ce que cette exigence de transparence fiscale concerne toutes les habitations louées à des étrangers, abstraction faite de leur nationalité.
6-Exiger des employeurs de ressortissants subsahariens détenteurs de permis de séjour provisoires de les déclarer à la CNSS et de respecter la législation du travail pour préserver les droits et la dignité de ces travailleurs.
7- Permettre aux résidents subsahariens d’exercer leur liberté de culte et d’association dans les limites imposées par les conventions internationales et la loi tunisienne avec la flexibilité nécessaire afin de préserver la cohésion et l’auto-discipline au sein de ces groupes ethniques.
8- Lancer, en collaboration avec l’Union Africaine, l’Union Européenne et l’ONU, une conférence internationale sur la mobilité des personnes et la remédiation de la migration sud-nord (Afrique-Europe) car il n’est ni dans les moyens ni dans l'intérêt de la Tunisie d'être le garde-frontière d’une citadelle Europe tant que durera l'état de dénuement et d’absence de perspectives au sud de la Méditerranée.
9-Carrefour de civilisations, il revient à la Tunisie d’initier un débat sur de nouveaux mécanismes de développement équitable et durable susceptibles d’offrir suffisamment de motifs pour la sédentarisation de sa population et de celle des pays africains grâce à un programme de développement ambitieux similaire au Plan Marshall.
En l’absence d’un plan d’action sérieux doté de moyens conséquents, il serait illusoire et hautement préjudiciable pour la Tunisie de se laisser compromettre, en échange de quelques subsides, dans une vaine entreprise de blocage du flux irrésistible de migration sud-nord.
Les peuples nord africains et subsahariens ne pourront pas en l'état actuel des choses et dans un avenir envisageable résister à la tentation de rechercher un mieux-être en Europe ce qui reviendrait à faire de la Tunisie une zone de transit ou une escale pour mieux enjamber la Méditerranée. Si la nature a horreur du vide, la nature humaine a horreur du dénuement et de la misère surtout lorsqu’elle croit, à tort ou à raison, que le salut se trouve à un jet de pierre.
10-Alors que l’Afrique est considérée comme un terrain de compétition entre les puissances pour son potentiel considérable, tout responsable tunisien est dans l’obligation morale et historique de se garder de renier le passé et d’insulter l’avenir.