Le discours malheureux - mais y en a-t-il d'heureux ? - du non moins malheureux locataire de Carthage au sujet de la présence des africains subsahariens sur notre sol a suscité beaucoup de réactions. Aussi bien en Occident que dans les capitales des pays africains. Certains s'en sont félicités, surtout dans les milieux nationalistes européens où le thème du "grand remplacement" sert de fonds de commerce à bien des organisations. D'autres en ont été affligés.
Dans cette catégorie, il y a ceux qui ont poussé un soupir de plus en songeant que décidément il nous faudra supporter encore longtemps les sorties de ce président et que nous n’en serons pas épargnés tant que la providence n’aura pas daigné nous en délivrer. Et il y a d’un autre côté ceux qui ont jugé qu’ils devaient marquer leur désapprobation d’une manière plus sonore, en dénonçant et en condamnant publiquement un discours dangereux aux relents racistes.
Mais le spectre des réactions ne s’est pas résumé à cette scission entre approbateurs et désapprobateurs. Il y a un troisième groupe qui s’est manifesté et dont la caractéristique est de dénoncer tout en laissant entendre qu’il y a du vrai dans le discours présidentiel.
Qu’est-ce qui serait vrai ? En gros, l’idée est que les pays européens voudraient transformer notre pays en zone tampon par rapport à l’immigration, et que nous cessions d’être une terre de passage pour devenir une terre qui s’ouvre à l’accueil.
Dans ce scénario, la Tunisie ne serait pas le seul pays à jouer ce rôle : c’est toute la bande septentrionale de l’Afrique, toute l’Afrique « sursaharienne », qui serait habilement réquisitionnée pour absorber les flux migratoires dont la destination initiale était l’Europe.
Mais la Tunisie en ferait partie bien sûr, et sa situation ferait peut-être d'elle une cible de choix. Or si ce plan se réalisait, il y aurait bien une incidence sur le profil des populations. L’homogénéité arabo-musulmane pourrait elle-même être menacée. Et c’est autour de ce « danger » que le susmentionné locataire entend susciter l’alarme parmi nos concitoyens, en prétendant que le pays fait l’objet d’un complot aussi vaste que diabolique.
Mais qu’est-ce qu’il faut penser de cette idée ? Est-ce que, d’une façon générale, on peut considérer comme fondée l’hypothèse selon laquelle les Européens chercheraient à transformer nos pays en zone d’implantation durable des immigrés venus du sud ?
Le problème ici est qu’on ne dit pas qui on désigne exactement par « Européens » et quelle importance ils représentent sur l'échiquier politique et dans les instances de décision. On ne dit pas non plus si le plan supposé prévoit que nos pays retiennent la totalité des flux ou une partie, voire une partie très modeste : ce qui, dans ce dernier cas, ne serait pas à considérer forcément comme un malheur, y compris pour notre économie.
Bref, pas d’angélisme dans notre manière d’analyser la politique européenne à notre égard. Nous ne sommes jamais complètement à l’abri d’une certaine instrumentalisation, c’est vrai. Mais à trop vouloir reproduire un schéma victimaire dans notre relation avec l’Europe, on risque de donner du grain à moudre à un discours paranoïaque qui prône le repli ou, du moins, de lui accorder le mérite d’une part de vérité... Alors qu'il relève au fond d'un grand mépris de la vérité.