L’élection des Conseils locaux représente, comme cela a été souligné par beaucoup, le moment essentiel du projet politique de Kaïs Saied. L’actuel président avait fait de l’ancrage du processus démocratique au sein de la réalité locale le cheval de bataille de sa campagne électorale, en tant, expliquait-il, qu’il consacre l’appropriation par le peuple de sa révolution. Il faut d’ailleurs avouer que ce discours avait pu, en son temps, avoir un écho favorable auprès d’une large portion des citoyens tunisiens.
La thèse selon laquelle la révolution tunisienne a été confisquée au peuple par les formations politiques, par leurs agendas plus ou moins obscurs et par les clans qui gravitaient autour, cette thèse était largement partagée et on peut considérer que les résultats plus qu’honorables obtenus par le président sont l’expression de cette convergence de vue entre ce dernier et une grande partie du peuple.
Aujourd’hui, au lendemain du premier tour de scrutin, les chiffres de la participation ont été rendus publics et ils suscitent quelques réflexions. Pourquoi, dans leur extrême modestie – 11,6 % -, sonnent-ils comme un revirement ? Les Tunisiens auraient-ils renoncé à l’exigence de conférer cet ancrage populaire au processus démocratique ? Notre réponse est que non : ils n’ont pas renoncé. Le revirement a une explication et elle est simple : l’ancrage a été opéré au prix de la démocratie elle-même.
Quand les opposants politiques croupissent en prison sans raison valable, quand l’ancienne Constitution est jetée aux orties et remplacée par une autre dont le texte n’a fait l’objet d’aucune concertation, quand le modèle d’un pouvoir personnel sans partage s’impose aux pays malgré les engagements pris de respecter les institutions, on n’a pas de peine à supposer que le sentiment du Tunisien est qu’il est vain de créer de nouvelles structures de pouvoir. Car rien ne permet de penser qu’elles échapperont au sort qui a été réservé à toutes les autres, à savoir celui de la coquille vide.
Alors, se sont-ils abstenus d’aller voter parce qu’ils ont jugé qu’ils avaient mieux à faire ou parce qu’ils tenaient à donner à leur refus de voter la valeur d’un message adressé à celui dont ils pensent à juste titre qu’il a trahi ses engagements envers eux, envers la démocratie et envers le pays ? Sans doute les deux à la fois.
En fait, pour beaucoup d’entre eux, le grand souci est de s’approvisionner en produits alimentaires de première nécessité. La lassitude de faire la queue pour le sucre, pour le lait, pour la semoule et j’en passe n’encourage guère à aller donner sa voix à un projet dont on n'a rien vu, sinon l’aggravation de la misère.