Nous le savons désormais avec certitude, les Palestiniens de Gaza passeront le Ramadan sous les bombardements de l’armée israélienne et le blocus alimentaire et médical qu’elle impose avec la collaboration enthousiaste des plus fanatiques de ses citoyens et la complicité calculée d’une partie influente du monde civilisé.
Le Hamas et les autres factions de la résistance ont refusé l’offre d'accord, faite par les États-Unis et les soi-disant médiateurs arabes, qui équivalait pour eux à une reddition sans conditions destinée à obtenir la remise à Israël de ses civils et militaires retenus à Gaza et à organiser une prétendue trêve de 6 semaines pendant laquelle Israël aurait maintenu sa présence sur le terrain, émaillée de crimes quotidiens commis contre les civils palestiniens dont les rapporteurs de l’ONU ont décrit les différentes formes (assassinats de sang-froid, enlèvements accompagnés de tortures et de traitements dégradants, exécutions sommaires, etc.).
Les Palestiniens auraient vécu cette « trêve » dans l'errance, sans aucun espoir de réintégrer leur lieu de résidence, au milieu des décombres et des dépouilles putréfiées, sans pouvoir songer à la réhabilitation de leur habitat dévasté. C’est-à-dire dans un statu quo d’indignité et de peur, avec pour seul horizon une reprise annoncée de l’agression israélienne et l’achèvement du génocide dont la barbarie serait libérée de l’hypothèque des « otages ».
Les Palestiniens de Gaza vont être soumis à une épreuve absolument inédite : accomplir le jeûne du Ramadan dans un état de famine organisée qui a déjà commencé à ajouter par dizaines ses victimes à la centaine de milliers de massacrés et mutilés.
Qu’on ne vienne pas me dire que les musulmans jeûneront par solidarité avec Gaza : la faim qu’on endure une douzaine d’heures par jour n’est pas la famine.
Je n’ai vu ni entendu aucune prise de position des autorités religieuses face à cette situation : les musulmans du monde entier vont faire mine de subir l’épreuve du jeûne, qui ne sera en réalité, pour les mieux pourvus d’entre eux, qu’un prétexte à faire bombance, alors que deux millions de leurs coreligionnaires, vivant sur une terre emblématique de l’islam, sont affamés et assoiffés depuis des mois.
Et d’ailleurs quelles fatwas « solidaires » aurait-on pu attendre d’Al-Azhar et de ses épigones autres que de vagues recommandations sur la destination de l’aumône légale ? Quel imam a-t-il la liberté, à l’approche du Ramadan, de ciseler un discours aussi engagé et émouvant que le sermon de lamentation et de colère de Noël prononcé par le pasteur de Bethléem en décembre dernier ?
Quant aux dirigeants politiques du monde islamique, ils avaient eu une ultime chance, quelques jours avant le Ramadan, de rendre au mois sacré la dimension séculière qui doit être la sienne. Au cours de la réunion ministérielle extraordinaire qu’elle a tenue à Djeddah le 5 mars dernier, l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) a été vigoureusement incitée à agir par un ministre algérien des affaires étrangères qui a pour l’occasion (tardivement) restitué à la voix de son pays les accents offensifs de sa diplomatie.
Ahmed Attaf a appelé les États musulmans à « la rupture des relations diplomatiques, culturelles, économiques, commerciales, militaires et sécuritaires avec l’occupant sioniste ». La perche tendue ne fut évidemment pas saisie.
Les musulmans du monde seront donc renvoyés à leur conscience personnelle. Or, le Ramadan a ses rituels sacrés et profanes que le simple croyant ne peut de son propre chef soumettre à innovation. Rituels égocentrés s’il en est : les excès terrestres qui suivent l’abstinence et la recherche de la récompense dans l’au-delà.
On discutera donc de cuisine (avec les digressions que cela suppose sur le coût de la vie) et du nombre licite de génuflexions nocturnes. Chorba et tarâwîh.
Comme si la Umma n’était qu’une constellation de destinées individuelles.