L’État d’Israël et les crimes du système

Chez moi, nous parlions souvent de droit, et en particulier de droit international, qui est considéré comme le point d’accord le plus élevé entre tous les États pour vivre en paix. Ma relation avec la loi a été empreinte d’un grand respect, voire d’une grande crainte. Plus tard dans ma vie, j’ai eu la chance de rencontrer deux personnes qui ont nourri ces sentiments, leur insufflant une nouvelle substance.

Je n’ai jamais rencontré la première personne, parce qu’il a été assassiné par la mafia, à Sciara, dans la province de Palerme, quelques années avant que le parti ne m’envoie à Caccamo. Il s’appelait Salvatore Carnevale, Turiddu, c’était un jeune ouvrier animé d’une passion politique forte et authentique. Il luttait pour les droits des ouvriers, le soir il lisait l’Unité et cherchait dans le dictionnaire le sens des mots qu’il ne comprenait pas ; Il expliquait aux paysans que la loi était de leur côté, que leurs droits devaient être défendus et protégés par les institutions de l’État, et que le recours à des moyens légaux était juste et faisait partie de la lutte des classes. Pour moi, qui voyais la loi comme un bien précieux mais lointain, hors de ma portée, l’histoire de Turiddu Carnevale a été une grande leçon de politique.

La deuxième personne dans l’ordre chronologique était Lelio Basso, grâce à qui j’ai découvert que le droit n’est pas le fief des juristes mais un terrain de lutte des classes.

Pendant mes années d’engagement au Vietnam, l’utilisation du droit international a été continue, mais ensuite tout était simple, il y avait un État agresseur et un État attaqué, il y avait les principes inscrits dans les traités internationaux et leurs violations étaient dénoncées.

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : après avoir été piétiné par les guerres menées par l’OTAN et ses pays membres, dont l’Italie, le droit international a pâli et l’on hésite presque à l’invoquer. Les fauteurs de guerre ont les mains libres et tous les gouvernements israéliens restent impunis pour les agressions quotidiennes sans fin contre les Palestiniens. En vain, l’Assemblée générale des Nations Unies les a condamnés plus de 300 fois, mais au Conseil de sécurité, les États-Unis y ont opposé leur veto. Il convient de rappeler que l’État d’Israël a été admis à l’ONU – le seul cas parmi ses membres – à la condition signée par le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Abba Eban, de respecter toutes ses délibérations.

D’autre part, les agressions de l’État d’Israël - notamment celle en cours contre Gaza - se déroulent avec le soutien d’un ou plusieurs de ses alliés occidentaux et avec l’impunité assurée par le système colonial qui l’a baptisé. En plus de couvrir l’État juif à l’ONU, ses alliés se taisent sur l’arsenal nucléaire clandestin d’Israël parce qu’il n’a jamais été signalé à l’AIEA.

Face à cette réalité, je m’inquiétais de l’absence de concepts, et encore moins d’instruments juridiques, capables de saisir et de relier les forces à l’œuvre derrière les crimes israéliens, afin de faire émerger l’entrelacement des intérêts et des alliances qui ont servi à faire exister l’État d’Israël. Afin d’assurer son impunité, il a également fallu occulter, aux yeux de l’opinion publique, à la fois sa fonction de garde-fou contre les intérêts géostratégiques des puissances occidentales et l’ampleur de son intervention internationale dans les domaines politique et militaire.

Luigi Ferraioli vient à ma rescousse et écrit : « J’ai donc proposé d’introduire dans le lexique juridique et politique une notion de « crime » plus large que celle de crime pénal, afin d’inclure cette vaste catégorie de violations massives des droits et des biens fondamentaux, même si elles ne consistent pas, comme les crimes criminels, en des actes individuels imputables à la responsabilité de personnes déterminées. J’ai qualifié ces violations de la loi de « crimes systémiques »[1].

Par conséquent, le concept de criminalité systémique identifie comme cause commune d’événements mortels un système, celui des forces avides et sauvages qui agissent au sein du capitalisme néolibéral. Ils violent les droits de l’homme, le droit international et les biens communs. Ils opèrent en toute impunité, notamment en raison de l’inexistence, sur le plan juridique, de la notion de crime permettant de qualifier de tels événements mortels et de l’absence conséquente d’institutions de garantie (magistrats, tribunaux, forces de l’ordre) chargées d’enquêter et de punir les coupables ; De telles violations sont donc laissées sans auteur qui peut continuer sans être dérangé dans son œuvre de dévastation.

Je me pose donc la question : la création de l’État d’Israël – un corps étranger placé par le système de pouvoir colonial et impérial au milieu du monde arabe, au mépris de tous les principes du droit international (mais aussi de l’ONU, quel droit avait-elle de partager la Palestine ?) ne constitue-t-elle pas un « événement fatal », un « crime systémique » ? D’autant plus qu’il a endossé le projet sioniste d’un « État juif », un autre événement fatal puisqu’il impliquait l’élimination de la population indigène.

Il est maintenant clair que c’était là l’objectif inhérent au projet sioniste : pas à pas, en occupant et en annexant des territoires palestiniens, l’État d’Israël domine désormais l’ensemble de la Palestine historique dont il a expulsé, ou dans laquelle il a enfermé dans des ghettos sous un régime d’apartheid, une grande partie de la population palestinienne ; Au cours des quatre derniers mois, à la suite de l’attaque du Hamas du 7 octobre, il a tué plus de 40 000 civils, auxquels il faut ajouter dix mille autres ou plus qui sont restés sous les décombres et ont réduit la population restante à la famine et à la déshydratation. Selon la Cour internationale de Justice, il est « plausible » qu’il s’agisse d’un génocide. En Cisjordanie, plus de Palestiniens ont été tués en un mois que l’année dernière, qui était déjà la pire de ces 20 dernières années.

Il ne pouvait en être autrement : l’État d’Israël est l’enfant de l’Europe antisémite qui a persécuté ses propres Juifs pendant des siècles, puis a suivi le projet de « l’État juif » à son profit et a couvert pendant plus de 70 ans les crimes commis contre les Palestiniens, en tant qu’individus et en tant que peuple. Par conséquent, en tant que complices actifs, les pays européens et les États-Unis ont les mains liées. Ils parlent d’un avenir à deux États pour ne pas faire face à la seule perspective durable dans le temps, c’est-à-dire celle d’un État unique, non pas euro-israélien mais moyen-oriental, comme le dicte sa position géographique : un État laïc et démocratique où les habitants actuels d’Israël, de Cisjordanie et de Gaza, y compris les réfugiés, puissent vivre avec des droits égaux dans la tradition levantine de coexistence entre les groupes ethniques et les religions.

Les partisans de cette proposition sont accusés d’antisémitisme et de vouloir « éliminer l’État d’Israël », ce qui implique qui sait quelle fin néfaste pour les Juifs. Il faut leur répondre avec indignation et fermeté que cette proposition est la seule qui nous permette d’entrevoir un avenir de paix, tout simplement parce que sans justice, il n’y a pas de paix.

Si vis pacem cole justitiam.


Note

[1] Luigi Ferraioli, « Pourquoi une Constitution de la Terre » ? Editore G. Giappichelli Editore

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