Nous ne sommes pas encore au bord de l’apocalypse nucléaire, mais nous commençons à entrevoir les étapes du chemin qui pourrait nous conduire à une confrontation fatale entre grandes puissances. Malgré les déclarations américaines répétées selon lesquelles il est nécessaire d’éviter de mener une troisième guerre mondiale, les lignes rouges qui précèdent l’éventuelle confrontation nucléaire entre la Russie et l’OTAN commencent à être franchies, en Ukraine et du côté occidental.
Les armes fournies à l’Ukraine par les pays européens et les États-Unis ne devaient être utilisées qu’à des fins défensives et sur le territoire de l’Ukraine elle-même. Tout cela pour montrer qu’ils ne sont pas en guerre avec la Russie, mais qu’ils remplissent leur devoir éthico-politique d’aider un pays victime d’une invasion illégale. Écartant d’emblée l’hypothèse de l’envoi de ses propres troupes sur le terrain, la création de zones d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine et des mesures qui auraient constitué des actes de guerre directe contre la Russie.
Plus de deux ans après le déclenchement des hostilités, il est clair pour tout le monde que la Russie l’emporte sur le champ de bataille et que ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle n’achève son contrôle des territoires russophones, soit l’équivalent de 40 % de la superficie d’un pays frère.
La guerre menée en Ukraine est une guerre conventionnelle classique, et tant qu’elle le restera, la supériorité russe - en termes de soldats, d’armes et de ressources matérielles - continuera de croître.
Il devient également de plus en plus clair que la pénurie d’équipements de guerre dont souffre Kiev ne peut être comblée par une nouvelle augmentation des livraisons occidentales de munitions, d’avions, de chars et de munitions. Le cours du conflit ne peut être inversé qu’avec l’entrée sur le champ de bataille d’un important contingent de troupes de l’OTAN bien armées et entraînées, libres de frapper des cibles de toutes sortes, y compris celles situées sur le territoire russe. Mais cela revient à franchir toutes les lignes rouges préétablies. Cela signifie précisément ouvrir cette confrontation conventionnelle totale entre l’OTAN et la Russie qui a été soigneusement évitée au début des hostilités.
Nous n’en sommes pas encore là, et il se pourrait bien que la levée de l’interdiction de frapper des cibles à l’intérieur de la Russie se limite à multiplier les attaques transfrontalières à petite échelle menées par l’armée ukrainienne et par les soldats européens et américains déjà présents sur le terrain et ignorés jusqu’à présent par les Russes. Chacun de ces empiétements recevra une réponse de Moscou, sans altérer la dynamique globale de la guerre.
Mais si l’on assiste à des bombardements répétés de plus grande ampleur sur le territoire russe, avec des pertes civiles importantes, effectués avec des armes provenant des pays de l’OTAN, la réaction de Moscou sera plus que symétrique et frappera non seulement les bases ukrainiennes de départ des attaques mais aussi les bases de l’Alliance d’où proviennent les armes susmentionnées. Nous nous retrouverons donc dans cette escalade qui peut nous conduire, consciemment ou non, tout droit à la catastrophe atomique.
La réaction anti-OTAN de la Russie obligera l’Alliance à employer des parts toujours plus importantes de ses forces, jusqu’à ce qu’elle se déploie presque entièrement. Et comme les Russes savent aussi que cette force est supérieure à la leur, Moscou se convaincra qu’il est entré dans une guerre conventionnelle qu’il peut perdre, et qui constitue une menace pour son existence en tant qu’État et en tant que nation. Le plus perspicace des stratèges russes, Dmitry Trenin, a été clair : une défaite en Ukraine entraînerait la chute du gouvernement russe actuel, le chaos dans le pays et une probable guerre civile.
Ce résultat peut être contré par deux éventualités :
1) une scission verticale au sein de l’OTAN qui compromettrait sa force militaire, permettant à la Russie de l’emporter dans la confrontation conventionnelle ;
2) l’adoption rapide de l’option nucléaire du côté de Moscou.
La première possibilité est assez éloignée. Les principaux États les plus réticents à entrer en guerre contre la Russie sont les États-Unis et l’Italie, mais la résistance de cette dernière pourrait être submergée par une vague de pugnacité médiatique et politique intérieure qui oblige leurs dirigeants à s’aligner sur le reste des membres de l’OTAN.
Cette dernière devient donc la plus probable, et sur cette question, la doctrine nucléaire de la Russie n’est pas différente de celle des autres puissances nucléaires. Cela commence par une explosion de démonstration réalisée dans un endroit isolé et inhabité pour permettre au nuage champignon de libérer son potentiel dissuasif et terrifiant, puis par l’utilisation d’armes nucléaires tactiques contre des concentrations de troupes et d’installations militaires.
À partir de là, personne n’est en mesure de spéculer précisément sur ce qui peut arriver. Parce qu’il n’y a pas d’expérience préalable, et parce que personne ne veut se concentrer sur une pensée aussi monstrueuse.