Tunisie : Le long processus de dé-citoyenneté et de dépolitisation

Le long processus de dé-citoyenneté et de dépolitisation fut entamé par la colonisation, confirmé et consolidé par Bourguiba, consacré par le régime kleptocrate et illettré de Ben Ali, aucun travail en profondeur n'a été effectué pendant la parenthèse démocratique pour inverser la tendance et élaborer une alternative citoyenne puissante et déterminée susceptible d'empêcher la résurgence de la pensée totalitaire cristallisée autour du bluff populiste et idéologique du "leader, père de la nation".

Ayant enfourché tous les mauvais chevaux, nous avons cessé de faire ce qui devait être fait rapidement, pour nous concentrer sur les querelles idéologiques archaïques et sur les conflits identitaires clivants et forcément orchestrés par les tenants de la dictature dont les mégaphones étaient les rescapés de l'ancien régime et ses supplétifs.

La Tunisie d'aujourd'hui ressemble comme deux gouttes d'eau à celle de Bourguiba et de Ben Ali : vieille, soumise, docile, obéissante, d'une laideur morale et intellectuelle insoutenable, tricheuse, menteuse, hypocrite, traînant toutes ses vieilles déficiences intellectuelles, morales et citoyennes comme un boulet de canon.

Rien qu'à observer nos débats d'idées et leur indigence, la paupérisation absolue du raisonnement et l'usage maléfique que nous faisons de nos quatre neurones, nous nous rendons compte de l'immensité du chantier et de l'absence des ouvriers, des artisans de la vraie pensée politique, philosophique et citoyenne.

C'est un désastre à tous points de vue, un terrible gâchis, un bourbier dans lequel nous nous enfonçons chaque jour avec ce sentiment d'autosatisfaction ubuesque qui caractérise les sots et les imbéciles.

Quand l'intelligence est malmenée, maltraitée de cette manière, c'est que les rangs de l'armée des imbéciles ont grossi d'une façon exponentielle.

Trois grandes ruptures irrésolues et irréparables....

La première est une rupture générationnelle claire et évidente: une vieille génération anachronique, vivant en dehors du temps et de l'espace, accrochée à ses vieilles lubies bourguibiennes, nostalgique des temps anciens, cloîtrée dans son analphabétisme politique, culturel, économique, social....Figée et inerte, passive, craintive, apathique...De l'autre côté de la barrière: des jeunes désabusés, démotivés, usant de tous les expédients en quête d'un ersatz de bonheur, cultivant leurs illusions et les nourrissant de faux espoirs et de mirages pour échapper à un quotidien morose, maussade et sans horizons...Leurs échappatoires leur ôte toute possibilité de réflexion et d'initiative, déresponsabilisés et infantilisés, ils n'ont plus d'idéaux et sombrent dans l'insignifiance…

La deuxième est une rupture sociale et économique : nous avons la Tunisie bien nourrie et bien habillée, modérément occidentalisée, urbaine, mondaine, embourgeoisée, dévastée par son égoïsme social, son nombrilisme et son mépris de l'autre... Celle-ci ne regarde pas l'autre Tunisie: mal nourrie et mal habillée, pauvre, misérable, déshéritée, marginale, en proie à mille et une difficultés, dont les espérances sont aussi vaines qu'inutiles, cette Tunisie est attentive au populisme qui entend profiter de ses haines sociales et de sa détestation de l'autre Tunisie. Ce clivage sert le projet fasciste.

La troisième est culturelle : La masse, la majorité, est coupée de l'élite, elle ne comprend ni leur sabir ni leurs arguties politiques, économiques, philosophiques et juridiques, elle éprouve une forme d'aversion envers le questionnement complexe et révélateur de tous les malaises que nous connaissons aujourd’hui.

Terre-à-terre, ses préoccupations sont celles de la majorité des Tunisiens: salaire, travail, nourriture, logement, moyens de subsistance essentiels, bref, la possibilité de vivre décemment…les coquetteries intellectuelles de l'élite ne l’intéresse pas, tout ce qui peut compliquer son existence et sa manière de penser ne l’intéresse pas. Elle méprise la caste des "sachants", c'est en quelque sorte le retour du refoulé, ayant intériorisé tous les complexes d'infériorité inhérents à sa condition sinistre, elle finit par haïr cette élite qui lui renvoie une image cruelle d'elle-même.

L'échec démocratique ne peut pas être compris si l'analyse ne tient pas compte de ces ruptures.

Oui, nous sommes divisés et irrémédiablement divisés.

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