L’obsession de la trahison

On finit par se lasser de tous ces textes qui prennent à partie Kamel Daoud pour sa « trahison » ou pour le mépris qu’il manifesterait à l’endroit de « son peuple ».

L’écrivain a-t-il pris un quelconque engagement de loyauté qu’il aurait renié ? Et vis-à-vis de qui ? Pour que le peuple algérien soit « son » peuple, il aurait fallu qu’il lui ait un jour fait allégeance, qu’il se soit cru représenté en sa personne ou identifié à ses écrits.

La trahison ne pousse que sur un terreau de dignité. Ne trahit pas qui veut. Il faut avoir été élevé à un rang de considération qu’on a longtemps mérité et honoré pour gagner le droit de déchoir, en cas de manquement, et d’être publiquement dépouillé de tout le prestige qu’on avait acquis. Il n’y a pas de trahison sans préjudice grave causé à sa victime mais aussi à son auteur.

Ceux qui situent leurs reproches à Daoud sur ce registre doublent l’insulte qu’ils lui prêtent de leur sienne propre en supposant qu’un peuple dont l’écrasante majorité n’a jamais entendu parler de lui puisse se sentir offensé par ses élucubrations.

Ce sont des milieux microscopiques de la société algérienne, soudés par une susceptibilité nationaliste maladive, marque de faiblesse brandie en guise de fermeté, qui dressent à leur insu un piédestal à un écrivain médiocre, qui le hissent au rang d’un anti-héros influent capable de nuire par sa parole à toute une nation. Et, pour avoir quelque chance d’y arriver, il était fatal qu’ils versent dans une médiocrité au moins égale.

Mais comment accorder du crédit à leur insatiable indignation ? Comment voir autre chose que de la paranoïa dans leur manie de diagnostiquer la trahison partout ? Certains d’entre eux n’ont-ils pas soupçonné un complot contre l’Algérie dans le cafouillage que fut la publication des résultats de la présidentielle par l’ANIE ?

Kamel Daoud fait partie de ces milliers de paumés qui ont de tout temps cédé aux sirènes de la France coloniale ou post-coloniale dans laquelle ils ont vu une opportunité d’assouvir des désirs indicibles et infantiles. Qu’il y ait perdu son âme, à supposer qu’il en ait eu une, c’est son affaire qui ne nuit en rien à l’Algérie ni, encore moins, à son peuple.

S’il y a de la duplicité dans cette affaire, c’est chez ceux qui dilapident les réserves faméliques de leur rhétorique contre lui qu’il faut la chercher. Il me suffit de constater que nombre d’entre eux remettent en circulation, pour décrire sa forfaiture, les mêmes qualifications qu’ils avaient appliquées naguère à Ihsane El Kadi.

Rien que pour cette raison, leurs critères de la fidélité et de la trahison ne peuvent en aucun cas être les miens.

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