Le difficile passage du pré-politique au politique

Plus les dirigeants ont peur, plus ils veulent faire peur à leurs administrés. Quel est l'objectif de la campagne d'arrestation qui n'a jamais cessé depuis le hirak qui avait déposé Bouteflika? Les dirigeants n'ont pas accepté que les masses qui manifestaient pacifiquement aient fait reculer les décideurs quant au choix du candidat à l'élection présidentielle.

C'est en effet la rue qui a fait pression pour que l'armée retire à Bouteflika le cinquième mandat. Cette idée que les masses interviennent dans le choix du président est insupportable pour les généraux qui tiennent à leur statut de Grands Electeurs se réunissant en conclave pour désigner le chef de l'Etat. C'est un refus du principe que les masses soient un acteur institutionnel dans le champ politique.

C'est ainsi que le champ politique est privatisé et est l'apanage d'une centaine de personnes qui, derrière l'anonymat de la tenue, désignent le président. De ce point de vue, l'Algérie est encore dans le pré-politique; ses dirigeants refusent qu'elle bascule dans le politique qui est la forme institutionnalisée de l'exercice et de l'usage de l'autorité publique.

La philosophe Hanna Arendt explique que l'autorité de l'Etat devient réellement publique lorsque les masses interviennent dans le champ politique qui cesse d'être régulé par la violence. L'institutionnalisation du politique, sur la base du principe que la société est source du pouvoir à travers les élections, signifie que l'Etat ne se légitime pas par une branche du pouvoir exécutif, en l'occurrence l'armée pour le cas algérien. L'armée est une branche du pouvoir exécutif de l'Etat et elle ne saurait être la source du pouvoir dans un champ politique institutionnalisé.

Dans l'histoire moderne de l'Algérie, l'ALN, émanation des masses qui ont renversé l'ordre colonial, a été l'organe qui avait provisoirement exercé la souveraineté en attendant la fondation de l'Etat national. Alors que l'ALN a été l'expression de l'entrée des masses dans le champ politique, l'Etat indépendant ne s'est pas inscrit dans cette dynamique. Il a tout fait pour que les masses n'investissent pas le champ politique et que l'Algérie reste dans le pré-politique dans lequel le champ de l'Etat est régulé par la violence. La violence d'Etat, police, gendarmerie, tribunaux..., est utilisée pour que le champ politique ne soit pas réorganisé sur le principe que la société est source de pouvoir.

Les dirigeants ont peur de la société qui réclame son attribut -la souveraineté- et c'est ce qui explique la répression qui s'abat sur les militants de l'opposition, les jeunes qui ne sont pas satisfaits de la gestion de l'Etat, les librairies et maisons d'édition qui nourrissent le débat public…

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