Traitant de thèmes variés et exprimant des émotions et des passions telles que l’amour, la tristesse, la mélancolie et la nostalgie, le romantisme s’est manifesté à travers divers arts, notamment la poésie, la peinture, la musique et l’architecture. Dans notre culture, il remonte aux environs du Vie siècle avec des figures emblématiques comme Antar Ibn Shaddad et Imru' al-Qays, avant d’atteindre son apogée sous l’Empire abbasside avec Majnoun Layla, Qays Ibn al-Mulawwah, et les soufis tels qu’Ibn Arabi et Rumi, qui ont fusionné amour terrestre et amour divin dans une vision spirituelle et extatique.
Par ailleurs, il fallut attendre plusieurs siècles avant que le romantisme ne prenne son essor en Occident, vers le XVIIIe siècle, avec – à ma connaissance – Goethe, puis plus tard Hugo et bien d’autres. Cependant, les origines historiques de la Saint-Valentin, aussi controversées soient-elles, semblent liées à un décret papal l’instituant comme fête religieuse, intégrant ainsi une tradition romaine déjà établie.
Incontournable en tout temps, l’Amour, sous l’effet des bouleversements que subissent les individus, a été appréhendé par les élites sous différents prismes. Il est ainsi perçu comme un dépassement de l’individualité, que ce soit chez Hegel, qui l’inscrit dans une perspective éthique et sociale où les individus se reconnaissent et s’unissent dans une identité supérieure, ou chez Spinoza, qui le considère comme un affect rationnel renforçant le pouvoir d’agir et reliant l’individu à l’ordre de la nature.
De même, pour Ibn Tufayl (auteur de Hay Ibn Yaqdhan, dont Robinson Crusoé s’est largement inspiré), l’amour prend une dimension mystique et intellectuelle, liant l’individu à l’univers et à la divinité. En revanche, Marx, dans sa critique de la famille bourgeoise et de son rôle dans la reproduction des inégalités sociales, bien que centré sur les structures économiques et sociales, considère l’amour comme un lien plus authentique, mais seulement dans une société affranchie de l’aliénation.
Ces différentes perceptions envisagent l’Amour comme un facteur de libération de l’égoïsme individuel. Pourtant, la spiritualité, sous toutes ses formes, demeure omniprésente dans les civilisations. En considérant tout phénomène humain comme inscrit dans un axe historique, lui-même dépendant, au moins partiellement, des conditions de reproduction sociale historiquement datées, ces grandes conceptions de l’Amour permettent de l’envisager non pas comme une simple émotion éphémère, mais comme un processus d’élévation vers un idéal humaniste, pourvu que certaines conditions soient réunies.
Dans un contexte social marqué par une crise chronique et multidimensionnelle – défaut de perspectives sociétales, multiplicité des référentiels sociaux au sein d’un même espace restreint, fracture générationnelle, disparités de nature sociale, politique et axiologique –, les conceptions de Hegel, Spinoza et Ibn Tufayl ne peuvent être généralisées. L’une des causes profondes de cette crise réside d’ailleurs dans le faible niveau de capital humain et social, entraînant un affaiblissement de la capacité d’abstraction nécessaire au « vivre-ensemble » et une difficulté à s’ouvrir à un monde immatériel pourtant essentiel, où l’amour représenterait un passage vers un état supérieur, permettant à l’Humain d’accomplir son Humanisme au sens d’Avicenne.
Cela n’est pas du tout concevable dans un système social qui risque de produire des contemplateurs plutôt que des transformateurs, des égoïstes plutôt que des altruistes, des narcissiques plutôt que de citoyens conscients et responsables
En effet, à mesure que les conditions sociales se détériorent, la passion tend à être reléguée au second plan au profit de la simple survie. Certains pourraient voir dans ce contexte une occasion d’exprimer leur passion envers l’être aimé. Soit. Mais encore faudrait-il s’interroger sur l’origine de cette manifestation : est-elle le fruit de mécanismes de marché ? L’aliénation sociale en constitue-t-elle le cœur ? Sinon, comment expliquer le taux élevé de ruptures sentimentales, y compris dans des relations initialement fondées sur un amour supposé durable ?
En fait, l’Amoureux est un être rationnel, désaliéné, et tend continuellement à l’auto-accomplissement de son humanisme, sinon il se serait trompé de ''mission''.