La récente dépréciation du $ s’explique par une synthèse de facteurs économiques et monétaires dont essentiellement :
(1) l’assouplissement progressif de la politique monétaire restrictive de la Fed depuis mars 2023, après une période de hausses de taux agressives, a réduit l’attrait du $. Ce phénomène est accentué par l’amélioration des perspectives économiques hors des USA notamment en Europe et en Asie, qui a détourné les investisseurs vers les actifs libellés en €s ou en ¥. Parallèlement,
(2) la baisse de la demande d’actifs refuges, dans un contexte d’apaisement des tensions géopolitiques, a privé le $ de son soutien traditionnel.
(3) Les déséquilibres structurels de l’économie américaine (ses déficits jumeaux) alimentent également les craintes des marchés. Ces inquiétudes sont renforcées par,
(4) le niveau record de la dette publique américaine, qui dépasse désormais 34 000 milliards $, faisant planer le doute sur sa soutenabilité à long terme. Enfin, d'autres facteurs, tels que la spéculation consécutive à une surévaluation prolongée depuis 2022 ou les ajustements de portefeuille des investisseurs institutionnels, ont amplifié la tendance baissière du $.
Cette faiblesse du $ a entraîné une appréciation automatique du dinar tunisien (%$), alimentant souvent un optimisme excessif chez certains. Cependant, cette dynamique masque une réalité plus inquiétante. En effet, la dépréciation continue du dinar face à l'€, dont près de 70 % des échanges commerciaux sont réalisés avec l'UE, atténue temporairement la pression sur le taux de change dinar/$.
En effet, en maintenant un taux directeur élevé, qui oriente l'arbitrage des opérateurs institutionnels en faveur du dinar face aux devises étrangères, la BCT intervient également régulièrement sur le marché interbancaire des changes par le biais d'opérations d'open market afin de stabiliser le dinar, tandis que les restrictions à l'importation limitent les sorties de $. La stabilité des transferts des résidents à l’étranger contribue également à soutenir l'offre de devises.
Il convient toutefois de noter que la baisse du dinar face à l’€ trouve son origine dans des déséquilibres structurels. Le déficit commercial chronique avec l’Europe (environ 20 % du PIB) génère une demande constante d’€s pour financer les importations de biens essentiels (médicaments, équipements technologiques). Ce déséquilibre est exacerbé par des politiques monétaires divergentes.
En effet, si la BCT a maintenu un taux directeur élevé jusqu’à 8 % en 2024 (récemment révisé à 7,5 %) pour contenir une inflation d’environ 9,4 %, ce différentiel de rendement ne compense pas les risques perçus par les investisseurs internationaux, et plus encore, il ne représente pas un motif d’attraction de capitaux étrangers puisque le marché financier tunisien est toujours sous répression financière. Ces investisseurs restent prudents face à une dette publique représentant 80 % du PIB et un déficit budgétaire persistant (5,5 % du PIB en 2024).
La structure même de l'économie tunisienne, dépendante des importations européennes et peu diversifiée (par produits et par destinations) dans son portefeuille de commerce extérieur, limite sa capacité à corriger ce déséquilibre, d'autant plus que le cadre de la politique commerciale ne semble plus susciter l'intérêt stratégique des décideurs politiques depuis des années.
Pour 2025, deux trajectoires possibles se dessinent. Dans un scénario central selon les mêmes tendances antérieures mais optimiste, le dinar pourrait se stabiliser autour de 3,1-3,2 TND/$ si la Fed procède à des baisses significatives de taux et si les transferts des résidents à l’étranger restent robustes. Cependant, face à l'€, la dépréciation du dinar devrait – dans ce scenario- se poursuivre vers 3,5-3,6 TND/€ en raison du déficit commercial structurel avec l'UE et d'une reprise économique européenne atone. Un éventuel rebond des prix du pétrole ou une crise politique intérieure constitueraient des risques baissiers immédiats.
À l'inverse, un scénario pessimiste de crise verrait le dinar plonger à 3,8 TND/€ et 3,5 TND/$ en cas de blocage des réformes économiques, de défaut partiel sur la dette souveraine ou d'escalade des tensions sociales. Cette situation s'accompagnerait probablement d'une forte inflation, alimentant un cercle vicieux de dépréciation monétaire et de contraction économique.