Sonia Mabrouk, qui s’efforce avec une ardeur presque douloureuse de paraître plus française que les Français eux-mêmes, se heurte à un obstacle que nul artifice ne peut dissoudre : la réalité indélébile de ses origines. Son nom, son prénom, son lieu de naissance, sa foi d’enfance, la teinte brune de sa peau, jusqu’à cet accent qui trahit les soleils d’un ailleurs — tout cela murmure une vérité qu’elle voudrait faire taire.
À chaque envolée contre les Arabes, chaque mot dur lancé comme pour gagner les faveurs de ses hôtes politiques, une ombre passe sur son visage : celle du rappel cruel qu’elle en est, elle aussi, une. Cette guerre intérieure la consume — elle n’est pas «Française de souche », et ce manque, elle le vit comme une faute. Alors elle s’efforce, en critiquant les siens, de dire à ses bienfaiteurs d’extrême droite : Voyez, je ne suis pas comme eux. J’ai rompu les amarres. Je suis à vous.
Mais il est des identités que l’on ne quitte pas comme on change de manteau. Comme le disait Frantz Fanon : « L’homme qui a honte de son origine est un cadavre en permission. » Se vouloir autre que ce que l’on est, c’est se condamner à l’errance de soi. Sonia Mabrouk souffre d’un mal ancien, connu de ce côté-ci de la Méditerranée : ce qu’on appelle, dans la mémoire populaire algérienne, le complexe de Bendaoud — ce harki qui, selon l’heure et l’assemblée, jouait tantôt le Français zélé, tantôt l’Arabe de façade.
Recrutée par des médias friands de symboles plus que de substance, elle ne l’a pas été pour son talent — qu’elle peine à faire éclore — mais pour servir de caution commode à ceux qui peinent à assumer leur propre rejet de l’Autre. Elle est là, non comme voix, mais comme vitrine.
Dans son zèle à renier ses racines, elle pensait s’élever. Mais à force de vouloir se fondre dans un moule qui n’a pas été fait pour elle, elle s’y est perdue. La grande Tunisie, terre de Saint Cyprien, d’Alyssa la fondatrice, et de Tertullien le penseur, détourne le regard — non par rejet, mais par tristesse. Car on ne peut honorer une terre en la reniant. Et l’on ne devient jamais pleinement l’ami d’un peuple en se faisant l’ennemi des siens.
Au fond d’elle-même, Sonia Mabrouk n’est ni aussi libérale, ni aussi acquise aux idées de droite qu’elle s’efforce de le faire croire. Elle n’adhère pas tant qu’elle s’adapte. En parfaite opportuniste, elle a revêtu les habits idéologiques de ceux qui tiennent les clés des studios où elle gagne son pain. Ce n’est pas une conviction qu’elle porte, mais un calcul.
Elle s’imagine qu’en jouant ce rôle, en mimant une identité politique qui n’est pas la sienne, elle préservera sa place, peut-être même gravira quelques échelons. Mais à force de travestir sa pensée pour plaire aux puissants, elle se dérobe à elle-même. Et derrière ce masque soigneusement ajusté, il n’y a ni sincérité, ni grandeur — seulement la prudence servile de ceux qui troquent la dignité contre le confort.