Ces « concitoyens » demeurent le maillon faible de toute expérience démocratique

Il y a tout lieu de penser que le choix de l'heure matinale - ou peut-être faudrait-il dire nocturne - de la visite présidentielle à Mazzouna avait essentiellement pour but de sélectionner le comité d'accueil, d'en supprimer les voix qui s'étaient fait entendre la veille et en lesquelles résonnait le ton de la colère.

La manœuvre ne manque pas d'habileté. Même si elle ne trompe personne, du moins parmi les esprits avertis.

Celui qui a regardé les images peut aussi mesurer l'importance du travail de la caméra, avec ses gros plans sur certains visages ébahis, écoutant les paroles présidentielles comme on absorberait un breuvage sacré. Rien à dire : le passé politique de la Tunisie et ses longues années de dictature ont formé dans ce domaine des compétences sûres qui ne se sont pas perdues.

Cela étant dit, ce n'est pas le seul enseignement à retenir de l'événement. Un autre est que, quel que soit leur nombre réel et même si on peut supposer qu'ils ont été rassemblés au prix d'un soigneux travail de rabattage, les gens présents au moment de la visite constituent une part de la société tunisienne qui demeure fidèle au président. Elle lui demeure fidèle en dépit de toutes les atteintes dont il s'est rendu coupable envers la droiture morale, la loyauté, le sens de la justice et de la vérité... En dépit de toutes ces atteintes, mais peut-être même à cause d'elles.

Il y a, vivant parmi nous, des gens pour qui toutes ces choses ne représentent que des notions creuses, où le mensonge et le simulacre font largement illusion.

Ce sont les mêmes qui, à chaque fois qu'un malheur s'abat sur le pays qui engage le détenteur du pouvoir, sont prêts à gober des histoires qui attisent la vindicte tout en la dirigeant du côté de supposés traîtres et conspirateurs. Du côté de ces individus qui "reçoivent de l'argent de l'étranger" et qui "font commerce de la misère des hommes pour semer le trouble".

Ce sont encore les mêmes qui ne voient aucune malice quand on vient gonfler leur orgueil en leur parlant d'héroïsme et de moment historique à propos d'une opération de nettoyage de la ville à laquelle les habitants auraient pris part, mais que l'armée avait reçu l'ordre d'exécuter suite aux manifestations populaires.

Ces gens demeurent le maillon faible de toute expérience démocratique : le point par lequel elle menace toujours de basculer en sa figure contraire.

En un sens, il était fatal que notre jeune démocratie fasse l'épreuve de ce piège qu'elle s'ouvre devant elle en ouvrant grandes les portes de la liberté.

Aujourd'hui, le souhait de se dégager de l'obscurité du piège ne doit pas se départir de la ferme volonté de se doter demain d'une démocratie plus mûre et plus aguerrie face aux dangers qui la guettent.

C'est la mission qui nous revient.

Elle comporte bien sûr un volet juridique, mais ne doit pas négliger le volet pédagogique qui prend en compte la présence à nos côtés de ces concitoyens dont il s'agit de "renforcer le maillon".

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