Il y a des histoires qui éclairent, à elles seules, les rouages d’un système. Celle d’Adem, jeune Tunisien condamné à 30 ans de prison à la place de son frère décédé, est une allégorie du naufrage judiciaire que traverse aujourd’hui la Tunisie. Une affaire injuste, absurde, cruelle – mais loin d’être isolée.
Mohamed, le frère d’Adem, a quitté le pays pour l’Allemagne. Il est mort là-bas, son corps a été rapatrié, et son identité formellement vérifiée par les autorités tunisiennes. Et pourtant, Adem est toujours derrière les barreaux. Non parce qu’il est coupable, mais parce que libérer un innocent reviendrait à reconnaître une faute grave. Plutôt que de réparer, l’État falsifie : il modifie les accusations pour maintenir en détention un homme dont l’innocence est pourtant avérée.
Cette logique glaçante fait écho à une autre affaire, encore plus médiatisée : le procès dit du "complot contre la sûreté de l’État". Là encore, des citoyen·ne·s sont détenus sans preuves, sur la base de témoignages anonymes, sans confrontation, parfois même jugés à distance, dans des procès où le verdict semble écrit d’avance. Là aussi, ce ne sont pas les faits qui comptent, mais la volonté politique de punir, d’intimider, de neutraliser. La justice est devenue un instrument au service du pouvoir, une scène où se rejoue en permanence la mise au pas de toute forme de dissidence ou de gêne.
Dans l’affaire d’Adem comme dans celle du "complot", ce qui est en cause, c’est la perversion complète de l’idée de justice. Un système où l’aveu d’erreur est perçu comme une menace, où la vérité devient un problème à étouffer, où l’innocence elle-même devient suspecte.
Adem, aujourd’hui, est l’otage d’un État qui sacrifie ses citoyens pour préserver sa façade d’infaillibilité. Comme les détenus du "complot", il incarne une vérité que le régime veut taire. Car admettre que l’on enferme à tort, c’est ouvrir la voie à l’effondrement de toute légitimité.
La morale est brutale : dans la Tunisie de Kaïs Saied, le droit ne protège plus, il écrase. Ce n’est plus la justice qui guide l’action de l’État, mais la peur de perdre le contrôle, fût-ce au prix de la dignité humaine.
Adem n’est pas un cas isolé : il est le miroir de ce que devient la Tunisie, un pays où le pouvoir fabrique des coupables et détruit les innocents pour ne pas avoir à se regarder en face.