Abdelwaheb Meddeb, La Disparition !

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Cela aurait pu être le titre de l’un de ses prochains ouvrages, si la mort ne nous l’avait pas arraché un jeudi 6 novembre 2014 à six heures trente du matin, aux premières lueurs d’un jour nouveau qui ne se lèvera plus jamais pour lui !

Si je parle aussi de douceur et de ton doucereux sans être mielleux, c’est parce que j’estime que c’est ce qui caractérise le plus sa gracieuse personne. La nouvelle nous a foudroyés, nous sa famille proche qui avons trouvé le réconfort et la force de tenir le coup avec le soutien de ses innombrables amis et fans inconditionnels, qui digèrent encore bien mal cette grande et incommensurable perte !

Au nom de sa famille au grand complet, je vous remercie vivement, chers amis, d’avoir exprimé en cette douloureuse circonstance vos marques de sympathie et de compassion pour la perte d’un être aussi cher. Une icône, une idole, un pilier et un puits de savoir dans lequel on puisait infiniment. Un aîné, le puîné que je suivais inlassablement durant ses multiples conférences et colloques, et surtout que je visitais régulièrement durant la décennie d’études que je passais en France, de 1981 à1989.

Il me prodiguait conseils, attentions et sa devise était surtout de travailler au maximum et de lire la majorité des livres et auteurs classiques pour mieux progresser, se performer et produire afin de mieux extraire ce qui est refoulé.

Pour Abdelwaheb, la catharsis permettait l’épanouissement total de l’être et lui permettait d’être enfin lui-même. Il était le magicien d’Oz, la boîte magique de Pandore qui implosait le merveilleux .D’un ton péremptoire, il récitait sans emphase des phrasés des différents extraits de A la Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, qu’il avait parcouru et décortiqué de bout en bout comme des passages en langues arabe et française, un tribut de pensées et de poèmes du grand mystique persan Sohrawardi, dont il fait l’éloge sans ostentation dans son ouvrage paru en 2005 :L’Exil occidental .

Comme dans la plupart de ses textes précédents et ultérieurs, le texte nous incite à partager l’épreuve de l’étranger. Etrangers nous sommes, étrangers nous demeurons et étrangers nous le fûmes vis-à-vis de nous-mêmes. Nous les pèlerins, les écrivains itinérants, les voyageurs en désarroi et les rebelles assoiffés d’insolite et de nouveauté !

Abdelwaheb en fut le maître, le chef de file, le précurseur, lui qui citait à chaque bouchée d’un plat savamment préparé Nietzsche et son drame de Zarathoustra, Platon et son disciple Socrate, les soufis mystiques à travers leurs prêches virulents et leur combat pour rétablir l’ordre, la vérité.

Lui qui aimait tant la civilisation arabo-musulmane authentique et purifiée de cette maladie incurable qui la ronge de toutes parts. L’Islam était sa conviction, l’extrémisme son calvaire. L’obscurantisme qu’il combattait de sa lumière irradiante de clarté et de perspicacité, de sa plume incisive, de son franc-parler révélateur de la voie de la connaissance !

De Phantasia et Talismano jusqu’à son dernier texte de poèmes qui vient de paraître et dont je n’ai pas eu l’honneur de la dédicace, une silhouette défile, défiant les années et les épreuves, celle de Aya, sa muse inspiratrice et l’émule et compagne de sa vie. Fidèle et loyal jusqu’à l’outrance tu fus et tu l’es resté, vouant un amour sans bornes pour ton inconsolable mère, Fatma Zohra, et ton adorée fille au prénom prédestiné, Hind.

Trois femmes, une destinée unique, une œuvre gigantesque chapeautée par la solitude des grands. Retracer les principales lignes et thèmes de ton œuvre est un effort qui demande beaucoup d’énergie et du temps écoulé pour digérer ta brutale disparition. Quelques mois, une lucidité et un éveil constants. Je n’ai pas encore la force de te raconter, de te faire revivre ou te récréer comme il convient de le faire.

Ce sera pour plus tard, tu m’as dit toi-même à la disparition de mon père que le deuil est un long processus inexorable qui doit suivre son cours et faire son bonhomme de chemin, le temps qu’il faut avec la dose de douleur équivalente !

Nous tenions tant à ton image idyllique, mais c’est parce que nous t’aimions tant ! Il était une fois un prince de Tunis, qui la quitta un jour pour se nourrir de la connaissance et du savoir de la ville des lumières, Paris l’ensorcelante ville des anges et des démons comme l’a nommée Taha Hussein, qui y devient célèbre et connut, y construisit son nid comme un pigeon voltigeant, et qui ne renia jamais ses racines.

Ce prince des lumières a marqué ma jeunesse, assurant de son impact la victoire de la civilisation de l’Islam sur la barbarie, cette malédiction dont il voulait nous en faire sortir jusqu’à son dernier souffle….

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