L’UGTT souverainissime, « montagne de fierté » ne devrait-elle pas désormais mettre la pédale douce pour reporter sa puissance sur la campagne électorale ?

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Les fonctionnaires sont les serviteurs de l’État national indépendant, et Youssef Chahed est le serviteur du FMI : voilà ce qui, en substance, s’est clamé au meeting de la Centrale syndicale, place Mhamed Ali, en ce jour d’une grève générale réussie à 100%.

Serviteur du FMI, Youssef Chahed l’est en quelque sorte, depuis qu’il a conclu en personne et sans en informer l’opinion publique, un accord avec l’institution de Bretton Woods, selon lequel il s’engage à mener de profondes réformes contre la garantie du FMI d’obtenir des prêts du marché financier international à des taux abordables.

Ces réformes peuvent s’entendre dès à présent comme un projet de démantèlement de l’administration et des services publics, une refonte des caisses sociales et du système de retraite, une suppression de la compensation des produits alimentaires ou énergétiques, bref une entreprise de casse sociale ou à tout le moins d’austérité douloureuse, comme cela s’est vu précédemment en Amérique latine ou dans les pays d’Europe du Sud.

Libéral, Youssef Chahed l’est depuis longtemps depuis qu’il affirmait, en doctorant, ses convictions dans l’esprit et la lettre de sa thèse soutenue à l’INAPG (Institut national d’agronomie de Paris Grignon), dont le titre énonçait déjà combien les accords de libre-échange de l’Union européenne avec les pays du Sud pouvaient leur apporter « le bien-être ».

En attendant l’ALECA, les entrepreneurs tunisiens peuvent déjà témoigner combien ces accords de libre-échange ont en réalité coulé un tiers des entreprises, comment un autre tiers rame et chavire encore et comment in fine seulement un tiers surnage aujourd’hui, après avoir bénéficié de subventions européennes pour leur mise à niveau, subventions dont les conditions d’octroi pourraient actuellement être utilement interrogées.

Aujourd’hui, Youssef Chahed est même un ultra-libéral, si l’on en croit sa manière de défendre et de protéger les très riches, les hommes d’affaires non productifs, en justifiant leur exonération de l’impôt de solidarité, par exemple, ou en ne luttant pas avec efficacité contre l’évasion fiscale et la corruption.

En revanche, à la veille de la grève générale, il se fend d’une adresse à la nation de 4 minutes pour invoquer l’intérêt général que pourrait menacer la grève, en avançant le déficit public pour expliquer son refus du montant de la majoration salariale réclamée par l’UGTT et en annonçant une procédure de réquisition.

Cette dernière initiative, qui fait polémique et témoigne en tout cas d’une faiblesse du gouvernement – menace pitoyable qui ne pouvait que provoquer des crispations – est traitée avec une ironie méprisante par le Secrétaire général de l’UGTT : « vous pouvez l’avaler et boire une gorgée d’eau par dessus ». Mais surtout, Noureddine Taboubi démonte une addition de mensonges : le gouvernement triche sur le chiffrage des effectifs de fonctionnaires modifié à 3 reprises ; il manipule les dates d’entrée en vigueur des majorations reportées de mai 2018 à octobre puis décembre 2018, pour une première tranche, et à janvier 2020 pour la seconde tranche au lieu de mai 2019.

En outre, il réévalue la somme globale allouée, la faisant passer de 400 milliards à 1100 puis à 1400 milliards, mais en jouant, par des acrobaties comptables, sur des crédits d’impôt reportés à la loi de Finances 2019, soit après les prochaines élections. L’entourloupe de ces crédits d’impôt est aussi une façon de les dissimuler au FMI, observateur scrupuleux de l’augmentation de la masse salariale rapportée au PIB.

De plus, comme les retraités ne peuvent bénéficier de ce crédit d’impôt, le gouvernement promet une réforme des règles applicables à cette catégorie de fonctionnaires pour qu’ils puissent se voir attribuer cette seconde tranche. Cette promesse pourra-t-elle raisonnablement être tenue, d’autant plus que selon l’expert financier Ezzedine Saïdane, le gouvernement ne dispose même pas présentement des 600 milliards nécessaires la première tranche d’augmentation, sauf à les puiser dans une réserve de l’État pour les grandes catastrophes ?

Si au terme de plusieurs séances de négociation, l’UGTT a refusé ces propositions du gouvernement, c’est sans doute parce que la Centrale ne parvenait pas à obtenir une majoration salariale équivalente à celle des autres secteurs de salariés (privé ou entreprises publiques), revendiquée au nom de la non discrimination entre travailleurs. Mais c’est surtout parce que, échaudée par des engagements non tenus par le gouvernement, l’UGTT met désormais en doute sa loyauté. Elle met surtout en cause l’indépendance de ce gouvernement par rapport au FMI et aux forces de l’argent.

Garante depuis 70 ans de la souveraineté de la Nation et forte de son rôle historique, l’UGTT peut se proclamer aujourd’hui « une montagne de fierté nationale». Mais après une grève réussie à 100%, quelle sera désormais sa stratégie ? Associer à une prochaine grève les salariés du secteur privé, déjà augmentés et plus fragiles dans leur emploi, ne serait-ce pas une entreprise risquée ?

L’opinion publique suivra-t-elle toujours, elle qui manifeste parfois quelques réserves et qui est déjà bien lasse des agitations et des matraquages politiques ? L’UGTT ne gagnerait-elle pas à affiner sa stratégie d’autant que, dans le système libéral actuellement en place, le gouvernement pourrait ne pas être disposé à avancer davantage dans les négociations ?

À l’évidence, la question est politique et la Centrale syndicale qui s’est déjà déclarée concernée par les prochaines élections, pourrait être plus inspirée de se concerter et se fédérer avec d’autres énergies collectives pour réinvestir sa puissance dans une convergence des luttes et dans la prochaine campagne électorale.

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