Comment je devins con... (2ème épisode)

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Alors, je ne tardai pas à avoir des responsabilités en classe. C'était moi qui devais tracer un trait dans les cahiers de mes camarades pour séparer les leçons, au début de chaque séance. Au début, je le faisais avec fierté mais à la longue cela devint vite une corvée dont je m'acquittais maladroitement, de mauvaise grâce, ce qui mettait le maitre en fureur.

C'était comme la corvée que m'imposera doucereusement, quelques années plus tard, notre voisin instituteur de son état, en me persuadant que je n'avais pas mon pareil pour corriger les exercices de production qu'il donnait à faire à ses élèves pendant les cours particuliers. Lui, se contentait de l'argent; moi, j'héritais de l'orgueil de corriger les copies, comme un vrai enseignant alors que j'étais en première année secondaire.

Le maitre, ayant fini par comprendre que j'avais peu d'affinités avec les lignes droites, me trouva une autre occupation plus adaptée à mes qualités: je fus donc nommé "gifleur" officiel de la classe. Il avait placé à côté de moi le cancre de la classe et je devais lui donner une paire de claques chaque fois qu'il commettait une bourde… J'étais en première année primaire et déjà bourreau officiel.

Déjà qu'être le premier de la classe n'est pas une sinécure, avec la jalousie et la haine que cela suscite…Si en plus on t'intronise punisseur légal et officiel de tes camarades qui ne te portent pas déjà tellement dans le cœur, tu es mal barré. En plus, mes prérogatives de pouvoir exécutif par intérim ne s'arrêtaient pas au cancre qui partageait mon pupitre. Elles s'étendirent rapidement à tous les autres, au gré de l'humeur du maitre.

J'étais alors appelé à exercer mon autorité au-delà des frontières de ma rangée, dans des endroits de la grande salle de classe où je m'étais rarement aventuré auparavant. C'est ainsi que je me fis plein d'amis…

J'essaie, maintenant, de me mettre dans la peau de mon binôme qui recevait de ma main chétive sa correction quotidienne. Il était beaucoup plus grand, plus costaud, plus âgé. Son unique tort était d'être moins intelligent. Il devint mon souffre-douleur par décision suprême du maitre absolu.

Je comprends mieux maintenant la gouaille faussement crâneuse avec laquelle il faisait mine de ne pas sentir mes gifles. Ses joues avaient beau virer au rouge écrevisse, il me défiait toujours du regard et de la voix, m'exhortant à taper plus fort. J'étais souvent gêné de ce rôle de tortionnaire peu en harmonie avec ma personnalité, mais la crainte de recevoir le même châtiment si je refusais les ordres constituait un argument hautement persuasif.

Mon binôme tirait-il une incompréhensible fierté à être torturé par le premier de la classe ? Peut-être. D'autant plus qu'en me narguant sans cesse, il prenait de ces puériles revanches des humbles qui prenaient sur eux stoïquement afin de ne pas laisser voir leur faiblesse. Je me rappellerai toujours, avec beaucoup d'amertume, la honte larmoyante qui envahissait ses yeux lorsque je le frappais, en dépit de l'accent triomphal de sa voix et d'un rictus de haine maladroitement cachée.

Mes camarades, écrasés par ma supériorité officielle, ne manquaient pas de prendre leur revanche sitôt qu'on se retrouvait dans un terrain qui leur était plus favorable. La cour de l'école. Ils me tenaient à l'écart de leurs jeux qu'ils jugeaient trop virils pour le premier de la classe. Ils me tenaient éloigné de leurs histoires chuchotées loin des oreilles instruites incapables de comprendre les affaires des vrais durs, des voyous en culottes courtes. Non que je fusse à l'époque un de ces fils à papa enveloppé dans de la soie; j'étais, au contraire, plutôt opiniâtre et teigneux et très ouvert sur les expériences des voyous sans aucun rapport avec ma réputation, peut-être surfaite, de surdoué.

D'ailleurs, deux ans plus tard, je serai viré d'une autre école pour avoir amoché un gamin de cinquième, alors que j'étais, moi, en troisième..! Et dire qu'il était allé pleurnicher auprès de la directrice..! Le con..!!! Une affaire d'hommes doit être réglée entre quatre yeux. Mais il fallait sans doute être le premier de la classe pour le savoir…

(A suivre)

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