Naissance de Tahya Tounès sans identité affirmée ni programme précis

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Un parti « en marche » ou un centre ramasse-tout.

En politique, le Centre c’est comme le triangle des Bermudes, un trou noir où l’on s’engloutit quand on s’en approche d’un peu trop près.

Le parti Tahya Tounes présenté comme un centrisme, a vu le jour dans quelques éclaboussures. Déjà au mois de novembre dernier, la légitimité reconduite à l’ARP, du chef du gouvernement avait été mise en question par l’avocat et juriste Mondher Belhaj Ali, dans une problématique constitutionnelle complexe.

Mais il est vrai qu’il est aujourd’hui l’animateur du nouveau et nème Lem Chamel de Nidaa ! Ces derniers temps, de tous côtés, le chef du gouvernement est aussi accusé d’instrumentaliser sa position de pouvoir à des fins électorales. Cela s’est vu particulièrement à Paris lors de la tenue d’une rencontre de son mouvement Tahya Tounes concomitamment du forum tuniso-français.

Mais le pompon est venu avec l’annonce que ce serait Chawki Gaddes président de l’Instance indépendante de protection des données personnelles, qui superviserait le déroulement du congrès constitutif de Tahya Tounes. Pour le coup, c’est le tollé contre cette confusion des registres et cette indignité institutionnelle.

Chawki Gaddes se défend en assurant qu’il prend une mise en disponibilité professionnelle, lui qui n’a pas pris de vacances depuis trois ans ! Chawki Gaddes qui n’est pas un enfant de chœur en politique et qui de surcroît, est professeur de droit constitutionnel, confond le repos bien mérité et rémunéré d’un grand serviteur de l’Etat avec le privilège irrégulier qu’il s’est accordé pour se mettre au service d’un parti politique, en abandonnant sa charge de président d’une institution indépendante !

Ceci n’a rien à voir avec la détention de données -pour cela, il faut plutôt regarder du côté du ministère des Technologies de la Communication et de l'Economie Numérique d’Anouar Mârouf- mais pour une personnalité appelée à une rigoureuse indépendance, c’est plus qu’une erreur, c’est une faute qu’il convient de réparer par le retrait.

Ce dérapage témoigne en plus d’une grande frilosité des initiateurs du nouveau parti et d’une grande défiance entre eux car d’ordinaire, l’ordonnancement de ce type d’évènement, est confié aux militants de grande autorité morale, en général les plus anciens et les plus consensuels au sein du parti en congrès.

La recherche d’un management transparent et au-dessus de tout soupçon, est néanmoins à l’honneur de ce nouveau parti d’autant plus qu’il s’ouvre à tous vents. C’est aussi le mérite des initiateurs, que cette pratique innovante d’une procédure démocratique Down-up et non pas Up-down, de constitution du mouvement à partir de listes locales puis régionales et enfin nationales de manière à ce qu’au bout du cheminement, une liste soit retenue par élection pour la direction du parti.

C’est ce qu’explique Slim Azzabi coordinateur de ce mouvement mais il ne dit pas comment seront contrôlées les adhésions au parti, surtout celles qui se feront sur une plateforme sur Internet. Il ne précise pas quels seront les mécanismes de défense contre une invasion de cohortes suspectes faisant de l’entrisme pour mettre la main sur le parti.

Pour autant, c’est un pari démocratique dans l’air du temps mais c’est un pari risqué. Car ce parti n’ayant pas d’identité claire au départ ni de programme précis, il n’est proposé aucun garde-fou, aucune charte pour décourager les intrus. Néanmoins, dans un second round dans les médias que Slim Azzabi occupe actuellement, il entend les critiques à ce sujet et annonce que les élections au congrès constitutif se feront selon un scrutin proportionnel pour éviter d’écrasantes dominations de certains.

Le parti se veut inclusif et Slim Azzabi souligne qu’il reprend la démarche par étapes de Bourguiba. Il est dommage qu’il n’ait pas d’avantage exploiter cette généalogie qui aurait donné une profondeur historique à ce parti apparu ex nihilo.

Pourtant, au cours de son interview en décembre 2018 sur Ettasiaa, Youssef Chahed au contraire avait cultivé une sorte de story telling autour de sa parenté avec son oncle Hassib Ben Ammar, un des dirigeants du Mouvement des démocrates socialistes (MDS) d’Ahmed Mestiri. Voilà qui donnerait une hérédité Bourguibienne tunisienne, démocratique et de culture musulmane moderniste à Tahya Tounes.

Mais les leaders de ce mouvement apparaissent timorés, sans grande expérience politique et donc se gardant les uns des autres de façon à ce qu’aucune tête ne dépasse celle du chef encore en retrait. « Le parti n’offre pas de tribune privée mais sera un mouvement populaire », assure Slim Azzabi. Toutefois, il y a bien dans ce mouvement disparate, quelques carriéristes aux dents longues et acérées.

Ainsi, il y a de vieux routiers de la politique, par exemple Mustapha Ben Ahmed, ancien militant de la Gauche syndicale, qui a roulé à tombeau ouvert dans un chemin de traverse pour se retrouver aujourd’hui écarté sur le bas côté en faveur de Slim Azzabi. Il y aurait bien aussi le cas de Mondher Zenaidi si à peine cité dans Tahya Tounes, qu’on le dit déjà promu à Nidaa nouveau secrétaire général en remplacement de Slim Riahi abandonné de tous.

Annoncé en direct sur le plateau d’Elhiwar Ettounsi, cet imbroglio burlesque me rappelle le titre d’une comédie très drôle et très bête de Tarek Ben Ammar : « Par où t’es entré, je ne t’ai pas vu sortir ».

Mondher Zenaidi est très certainement une capture de grande compétence. Notre maître sondeur national Hassan Zargouni qui flanque à Paris de son brio et de son entregent, le chef du gouvernement -auquel ses sondages accordent d’avance 30% à la présidentielle- tresse une couronne de laurier à la famille Zenaidi, toute entière émoulue des grandes écoles françaises. Cela n’a pas empêché le fils Mondher de coller à la racaille du palais de Carthage sous l’ancien régime !

Un autre élégantissime et fin diplomate mais coupable du même pêché originel que le précédent, fond aussi dans Tahya Tounes, son parti Al Moubadra ou du moins ce qu’il en reste depuis que Abir Moussi ramène vers elle par son courage, sa cohérence et sa constance, les aficionados destouriens. Où était-il Kamel Morjane en charge de cette affaire qui lui reste étrangère, la Fonction publique ? Sans doute complètement éteint devant le puissant et terrible Noureddine Taboubi.

Un autre chef à l’intelligence brillante mais tellement versatile devrait intégrer son parti Machrouu Tounes à Tahya Tounes. Il s’agit bien sûr du loup Mohsen Marzouk qui pour l’instant l’a mise en veilleuse et qui comme dans le conte, montre patte blanche en enfarinant tout le monde. Jusqu’à quand acceptera-t-il de passer au spectacle en vedette américaine ?

A ces partis, il devrait s’ajouter selon Slim Azzabi, les transfuges d’Al Joumhouri, d’Ettakatol, d’Al Massar et d’Al Badil, sans leurs ténors et certainement pas Mahdi Jomaa qui fait cavalier seul et se croit à lui tout seul, une institution !

Tout de même, il ne devrait pas y avoir dans ce nouveau mouvement que des opportunistes, des grandes gueules ou reconnue par les réseaux sociaux une petite voyoucratie en costume-cravate car enfin, l’élargissement d’un parti ne se confond pas avec le racolage ni la voiture-balais sur la voie publique !

On peut en effet supposer que des personnes de bonne foi ayant envie de tirer le pays du marasme et de faire bouger les lignes, puissent adhérer à ce parti, surtout les quadras intéressés à ce nouveau look participatif de la pratique politicienne. Peut-être que même des démocrates en errance, pourraient être séduits par l’invitation subliminale, rassurante de la présence de Chawki Gaddes ainsi que par la civilité agréable de Slim Azzabi.

D’autant plus que sans programme précis, ce mouvement s’annonce comme un « centrisme progressiste moderniste » définition vague qui peut arranger bien du monde. Il s’identifie aussi comme un mouvement libéral-social, concept bidon qui veut dire : en faveur du capital privé, celui des riches et des très riches avec une aumône sociale. Slim Azzabi n’évoque qu’un programme de grandes réformes toujours attendus, préconisées par le FMI. Il annonce une révolution économique verte, elle aussi partout à l’ordre du jour.

Rien ne dit jusqu’à présent en quoi ce parti se distingue de Nidaa Tounes dont il est l’enfant prodigue et dont il sera peut-être le frère ennemi ou l’alter ego aux prochaines élections. Surtout rien n’est dit de la relation avec le mouvement Ennahdha, jusqu’ici parrain et tuteur du gouvernement. On attend une distanciation sur les questions sociétales et dans la constitution des listes électorales.

Malgré toutes ses réserves, on ne peut préjuger de l’avenir de ce parti qui pourrait installer un rassemblement d’énergies vives, positives, efficaces. La démarche de départ et l’orientation économique sont celles d’un Macron. Sans doute faut-il le talent de ce dernier ainsi que le soutien de la finance et de puissants lobbies dont il a bénéficié, pour coaguler, imprimer sa marque et manager un ensemble composite.

Et encore, on voit combien les gilets jaunes amènent aujourd’hui le président français à rabattre son caquet et à infléchir une politique trop dure socialement. Emmanuel Macron s’est tout de suite mis en avant et ne craint pas d’aller au feu. Youssef Chahed reste trop dans l’ombre comme un deus ex machina.

Aura-t-il la stature, la force de caractère et la poigne pour conduire ce nouveau parti à une majorité électorale nécessaire pour « passer les grandes réformes dans les Cent jours », encore un défi macronien ? Ou bien cette course vers le pouvoir finira-t-elle comme une aventure désordonnée, non maitrisée et sans lendemain, dans la défaite d’un parti ramasse-tout ?

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