La bonne nouvelle de cette semaine en Algérie, car il y en a tout de même une au-delà des manœuvres dilatoires du pouvoir, c’est qu’il n’y aura pas d’élection pour un cinquième mandat. Nous allons donc échapper au cirque humiliant qu’aurait constitué un tel scrutin. Vous imaginez le décor : Des « meetings » sans le principal concerné mais en présence de son image encadrée, une poignée de courtisans multipliant les génuflexions et les chants flagorneurs sans oublier une assistance survoltée par la perspective d’avaler le sandwich cachir-mayonnaise offert aux frais du contribuable. Pour le reste…
L’Histoire est en train de se dérouler sous nos yeux. Depuis l’indépendance, jamais peut-être ce pays n’a été aussi près de s’affranchir de la gangue qui l’enserre. Quand naît un tel élan populaire, le bon sens, la raison, la volonté de se préserver et de préserver sa descendance, commandent d’écouter ses revendications et d’y répondre. Cela ne signifie pas qu’il faille tout céder mais qu’il s’agit au moins d’entamer un processus fait de retraits, de concessions réelles et de négociations.
Une transition est un processus complexe et jamais unique. Mais une chose est certaine, elle ne peut être menée par le seul régime. La prolongation de facto du quatrième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, ce « glissement » comme on l’a appelé en République démocratique du Congo (RDC) lorsque Joseph Kabila a fait exactement la même chose en 2016 – est tout sauf le début d’une transition. C’est une manœuvre tactique qui peut déboucher sur n’importe quelle issue. Les termes de sa seconde lettre (en attendant la prochaine) sont suffisamment vagues pour offrir de multiples perspectives au régime.
Il faut bien comprendre que tout est possible. Le mandat « 4+ » peut tellement glisser qu’il peut tendre vers le « 5 ». De même, la « conférence nationale inclusive » (expression qui confesse l’existence, jusqu’à présent, d’une exclusion) risque fort de ne rien donner. Il y aura des blablas, des discours interminables qui finiront par ennuyer tout le monde et dont le premier impact sera de dégoûter de la politique cette jeunesse qui défile en ce moment. Ce sera alors le bon moment pour qu’une nouvelle figure du système prenne le relais. C’est de cela que beaucoup de gens ont conscience.
« Je ne cesse pas de me demander pourquoi les dirigeants des pays arabes continuent de prendre leurs peuples pour des crétins. » C’est la question posée par un internaute via le réseau Twitter. Cette question est fondamentale car ce qui caractérise nos dirigeants depuis si longtemps, c’est leur mépris profond pour le peuple, pour celles et ceux qui n’appartiennent pas au cercle fermé qu’eux et leurs pairs composent.
A l’indépendance, l’idée républicaine coulait de source dans les cercles du jeune pouvoir algérien même si les langues se délient aujourd’hui et disent que nombre de membres du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) ou de l’état-major n’avaient, en réalité, aucune empathie pour la population exposée à la violence d’une terrible guerre.
Au fil du temps, la réalité du pouvoir algérien s’est transformée mais c’est Abdelaziz Bouteflika qui lui a donné ses contours définitifs : ceux d’une « djoumloukiya » : une « répubnarchie », un système mutant, déprédateur, fait de concentration excessive des pouvoirs et, par conséquent, de l’absence de contre-pouvoirs réels.
Quand on voit la manière dont le Conseil constitutionnel a failli à sa mission au cours des dernières semaines, quand on écoute les débats à l’Assemblée ou à la chambre haute, on ne peut que réaliser que le pays est une féodalité qui se cache à peine derrière des apparats pseudo-républicains et égalitaires.
Les Algériennes et les Algériens qui manifestent en ce moment disent simplement qu’il est temps pour eux d’avoir voix au chapitre. J’avoue être agréablement surpris par la qualité des interventions que je peux happer ici et là. Qu’il s’agisse des échanges entre artistes, des forums improvisés ou des papiers relayés par la Toile, tout cela traduit une richesse et une maturité qui ne demandent qu’à être exploitées. Il faut souhaiter que cela sera le cas.
L’inquiétant dans l’affaire, c’est que l’on sent bien qu’avec son cynisme habituel, le pouvoir est tenté une nouvelle fois de chercher noise pour cogner en retour. La deuxième lettre du président a provoqué la colère de nombre d’Algériens. Le piège, immense, serait que cette ire prenne le pas sur le caractère pacifique et civique des manifestations. Cela donnerait des justifications pour réprimer les protestataires, pour crier au complot et appeler à la préservation de la patrie. Bref, les habituels slogans destinés à maintenir le statu quo.
Mais, quand bien même les Algériens viendraient à perdre patience et à s’exprimer plus durement dans la rue, cela ne doit pas nous faire oublier que ce serait le résultat immédiat de la sinistre farce à laquelle nous assistons depuis plusieurs semaines. On dirait que tout est fait pour humilier la population et l’obliger à réagir vigoureusement pour mieux la bastonner. Si cela devait arriver, le coupable est connu et il ne pourra pas se cacher derrière sa logorrhée chauvine. Il n’est pas question de laisser se reproduire les drames du passé.
Que la paix accompagne les pas des marcheuses et des marcheurs de ce vendredi 15 mars. Que leur voix soit entendue et que l’Algérie soit enfin débarrassée d’un régime qui après l’avoir menée à l’échec semble prêt à l’entraîner dans l’abime.