Une gouvernance approximative dans un pays en désarroi et en état d’anomie sociale…

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Une dynamique s’engage sur le mot d’ordre : « ila mata », jusqu’à quand ?

Il y a quelques jours devant de hauts cadres de la santé publique, le chef du gouvernement promettait : « cela ne peut plus continuer, cela ne va plus continuer », en français dans le texte comme si le foutoir s’exprimait dans le dialecte local et comme si l’autorité empruntait les mots de la rationalité cartésienne organisée.

Il aura fallu l’électrochoc de quelques images, celles de 15 petits corps inachevés rendus à leurs familles dans des cartons de commerce pour que Youssef Chahed redécouvre ce qu’il est depuis deux ans : le chef de gouvernement d’un pays en désarroi et en état d’anomie sociale.

Il est excessif de voir partout de la perversité et du vice. Il serait injuste d’incriminer dans toute défaillance le manque de financement, la corruption, le détournement des moyens. Et encore pire, il me parait farfelu d’évoquer comme je l’entends parfois, un complot ourdi contre l’Etat Bourguibien administré !

Il me semble que ce qui est en cause surtout, c’est l’habitude de la négligence, la tolérance de la médiocrité et de l’incompétence, l’accommodation du manque de rigueur et de conscience. Car ces nourrissons sont morts d’un manquement humain qui n’aurait pas été contrôlé.

Pour tout dire, tout au long de la chaine des opérations et de commandement il s’agit d’une gestion et d’une gouvernance approximative « à la tunisienne », dont chacun s’arrange et parfois même s’enorgueillit car, comme la terre, « et pourtant elle tourne notre petite Tunisie ». Seulement, depuis la révolution, trop de cailloux dérèglent une mécanique vieillie, aux prises avec les nouvelles normes de la mondialisation, et cela ne marche plus.

D’autant qu’encourageant la rébellion contre toute autorité, la révolution a boosté ce sentiment de chacun d’être en droit de tout et de n’être redevable de rien. Le chef du gouvernement ne participe-t-il pas lui aussi de cette incurie ? Si ses supporters le disent en permanence « au travail », d’autres l’accusent de ne s’intéresser qu’à ses affaires particulières, la guerre contre le chef de l’État et la course à l’élection présidentielle, laissant chaque ministre vaquer seul dans son coin, en dehors de certaines situations de catastrophes naturelles.

Toujours est-il qu’il semble décidé à prendre les choses en main et à mettre fin à ce déficit d’autorité. Faut-il lui faire confiance alors que sa première mesure est de brûler des fusibles, ignorant la défaillance des ministres successifs dont celle d’aujourd’hui anciennement secrétaire d’État, tous ayant jeté un œil dans les écuries d’Augias puis s’en étant lavé les mains ! Seul le ministre Saïd Aïdi a pris la peine de donner un coup de pied dans la fourmilière, mais s’est fait piquer et piquer sa place et se retrouve aujourd’hui poursuivi en justice pour dénoncer sur tous les plateaux et peut-être dans une opération électorale, la ministre qui lui a succédé !

L’autre façon de renforcer l’autorité semble être cette décision de censure préventive prise par un juge zélé qui interdit l’investigation car il s’agit de gagner la bataille de l’image, celle qui fabrique l’opinion favorable ou la dessert. Le chef du gouvernement, par la voix de son porte-parole, se disculpe de toute ingérence dans la justice, se disant lui-même victime d’une manipulation de l’information.

Mais trop tard pour le contrôle de l’expression car chaque citoyen est devenu un haut-parleur, un lanceur d’alertes : « balance ton hôpital » et suivront peut être balance ton école, balance ton tribunal… à telle enseigne que cette overdose de révélations peut produire l’effet inverse, la dépréciation de soi, l’autoflagellation et l’inhibition de toute action. Peut être ne faut-il pas perdre de vue que nous sommes dans une situation de désordre post-révolutionnaire, dans une économie de guerre.

Pour autant, tout dénonce que cette gouvernance se dessaisit des missions de l’État, celle des services publics, c’est-à-dire des services dus au contribuable qui paie sa dîme pour cela. Mais telles sont les recommandations de nos bailleurs de fond. Et les intérêts particuliers s’engouffrent dans cette orientation encourageant les cessions, les privatisations et les défiscalisations des profits.

À l’approche des élections, des mouvements politiques peu acquis à ce « moins d’État » et n’identifiant aucun mieux d’État, mettent les bouchées doubles pour couper l’herbe sous le pied de populistes qui pourraient allumer la mèche de l’exaspération. Dans la jonction avec des initiatives citoyennes, une dynamique semble s’engager sur ce mot d’ordre : « ila mata », jusqu’à quand ?

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