Comment détruire un service public ? Voici la réponse de Noam Chomsky à cette question : « En baissant son financement. Il ne fonctionnera plus. Les gens s’énerveront, ils voudront autre chose. C’est la technique de base pour privatiser un service public. »
En Tunisie, cela fait plusieurs décennies que le pouvoir, les autorités appliquent systématiquement cette technique, non pas à un service particulier, mais à tous les services publics ; enseignement, santé, transport… Le financement des services publics se réduit, sauf quand il porte sur le financement d’infrastructures qui profiteront aux entreprises privées et étrangères, et qui sont source de confortables commissions.
Ce n’est pas gratuit, le but visé, et poursuivi simultanément à la dépréciation des services publics, est le soutien à la création de plus en plus systématique d’entreprises privées dans les différents secteurs que l’on veut transformer.
Les raisons de cette volonté de privatisation, que les savants économistes justifient théoriquement est en réalité tout à fait simple, elle tient en un mot : corruption.
Cette corruption ne date pas d’hier, mais elle a pris, avec l’ère Ben Ali, et cela continue encore, une proportion plus générale, les interventions en faveur des entrepreneurs privés se sont multipliées, et les commissions versées également : la liquidation du service public s’accompagne de l’enrichissement des responsables politiques et administratifs qui y contribuent : citons à titre d’exemple les difficultés des banques dues au non paiement de leurs dettes par des emprunteurs soutenus d’en haut, et n’insistons pas sur les révélations faites et encore à faire quant aux sources d’enrichissement de certaines personnes liées au pouvoir.
C’est que les règles de fonctionnement et de contrôle existant dans le service public disparaissent dans le cas du secteur privé, qui n’obéit plus qu’aux règles du profit maximum, et d’abord la fixation des salaires : c’est l’arme de choix de ces entreprises qui, n’ayant plus les impératifs du service public, peuvent adapter leurs prix à un niveau plus élevé des salaires payés ; elles peuvent recruter ainsi parmi les fonctionnaires, enseignants médecins, personnels paramédicaux, administratifs…, contribuant ainsi à la dégradation du service public : en vidant ces services et en créant dans le secteur privé un appel à tous les fonctionnaires qu’on attire par des salaires plus avantageux et en offrant, et les faisant payer à leurs clients, des services à priori meilleurs que le public, en comptant sur les difficultés croissantes de ce secteur aux ressources financières de plus en plus réduite et aux plus faibles capacités de répondre aux revendications de ses employés,.. Et souvent, en utilisant le secteur privé pour réaliser à bas prix des opérations qu’elles facturent très cher.
Une autre conséquence de la dégradation relative du niveau de vie de ceux qui restent fonctionnaires est la transformation de nombre d’entre eux que la recherche de conditions meilleures poussent à multiplier les actions revendicatives : le pouvoir en profite pour mener des campagnes de dénigrement contre les syndicalistes, pousser à la déconsidération de leur action et à la division des couches populaires, sans faire allusion à l’action des autorités pour accentuer les contradictions, notamment par les remises en cause des promesses déjà faites.
Il arrive également que certains fonctionnaires essaient d’améliorer leurs conditions de façon plus ou moins honnêtes, détournement de matériel, leçons particulières abusives… Ces pratiques, de plus en plus courantes, ne sont pas combattues, au contraire : elles favorisent la liquidation programmée des services publics.
Cette liquidation est de plus en plus accompagnée d’une cession des richesses à l’étranger, conduit inévitablement à une accélération de la destruction de l’Etat et, à terme, à une remise en question des équilibres politiques du pays, et toutes les campagnes de lutte contre la corruption continueront à se heurter à des intérêts trop puissants et échoueront inévitablement.